Réunion de famille à Sawākin

“Number one, number one !”, ne cesse de répéter l’homme au turban et djellaba d’un blanc immaculé, tenant d’une main un sac de jute roulé, de l’autre, le bras de notre ami Arthur, et levant le menton vers moi avec une étincelle dans les yeux, comme si Arthur était mon mari et moi la gagnante du concours de beauté de la région, qu’il convoitait ouvertement et s’apprêtait à négocier.

La soixantaine, cheveux gris et barbe de trois jours, un smartphone dans la poche de poitrine, il a la peau plus claire que la plupart des hommes que nous avons rencontrés dans les rues de Sawākin en nous rendant à Souk El Jagar (le principal marché de Sawākin), et contrairement à eux, il ne porte pas le veston sombre qui complète ce qui semble être la tenue des habitants. Malgré son entousiasme pour communiquer, notre manque flagrant d’arabe ou de dialecte soudanais empêche tout véritable dialogue, et toute interprétation de la scène serait purement fortuite, mais je dois admettre un léger malaise lorsqu’il brandit ses clés de voiture vers nous avec un grand sourire, comme s’il demandait à m’emmener faire un tour !

C’est là que je laisse Arthur en plan avec son nouvel acolyte, et rejoins Thomas, un peu plus loin devant, avec les enfants qui sont impatients de montrer le dromadaire de la place du village à leurs amis de Girotondo (dont Arthur est le skipper et le papa). Arrivés quelques jours avant eux, nous sommes allés y acheter des produits frais la veille, et si Azur s’est senti accablé par la chaleur, la poussière, le babille incompréhensible, et les ordures qui jonchent les rues, à présent encouragé par la présence de ses amis, il est comme un poisson dans l’eau et leur fait visiter la ville comme s’il était du coin.

Il faut dire que nous avons quelque raison de nous sentir comme à la maison, car à Sawākin sont rassemblés nombre de bateaux rencontrés au cours de notre périple: à commencer par “Brule-Vent”, notre compagnon de voyage depuis Darwin jusqu’en Malaisie et que nous étions ravis de retrouver (Pascal avait cuisiné une ratatouille en guise de cadeau de bienvenue que nous avons mangée avec lui et son beau-frère et équipier, Jean-Yves, presque dès que nous avons jeté l’ancre), le vieux grément “Yukon” avec lequel Thomas avait passé une journée à faire les formalités à Kupang, “Adelante” arrivé en même temps que nous au Sri Lanka, “Sea Pearl”, rencontré aux Maldives, et même “Deo Juvante”, jamais rencontré mais avec qui j’avais été en contact pour échanger des informations concernant une escale potentielle à Soccotra. Une réunion de famille, en somme !

Quoi qu’en disent les sites touristiques, il faut faire preuve d’une grande imagination pour se représenter la cité corallienne de Sawākin (ou Suakin), aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, dans son ancienne gloire, à l’époque où elle était un grand port africain et une plaque tournante de la traite des esclaves. De son héritage ottoman et de ses grands bâtiments en pierre corallienne blanche, il ne reste hélas pas grand-chose, si ce n’est quelques façades en pierre sculptée qui tiennent encore debout par la volonté d’Allah, des arches précairement calées par des bâtons de bois, et des ruines squattées par des buses et des corbeaux.

Il en va de même pour la ville actuelle, où il est pratiquement impossible de distinguer, parmi les bâtiments délabrés qui la composent, ceux qui sont déserts et ceux qui sont encore habités aujourd’hui. Mais étonnamment, nous avons pu trouver tout ce dont nous avions besoin pendant, du matériel de pêche à l’avitaillement, en passant par le délicieux pain plat fraîchement sorti du four tous les jours de la semaine et vendu à la douzaine dans de petits sacs en plastique jaune avec lesquels chacun se trimballe dans les rues de la ville.

Nous nous souviendrons de la gentillesse des gens, de leur attitude décontractée et de leur code vestimentaire harmonieux qui créent une atmosphère plutôt apaisante, ainsi que des innombrables curieux qui demandent à être photographiés dans leur décor aride, où les SUV partagent les rues en terre battue avec des charrettes tirées par des ânes, des chèvres qui se nourrissent de déchets et des chats qui se battent pour des carcasses de chèvres. Sans parler du spectacle extrêmement photogéniques lorsque, au crépuscule, les rayons du soleil effleurent les pierres sous cet angle délicat qui donne aux pierres et colonnades restantes toute leur perspective et caractère.

Published by Salome

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