Certains pensent qu’en partageant ce que l’on a, on se prive. Ce n’est pas toujours le cas. Au contraire, parfois, en partageant, nous multiplions notre mise. Pensez à la joie, à l’inspiration, à l’amour, à la sagesse, etc. Et cela vaut aussi pour les raies manta. Ce qui est bien sûr à l’origine du célèbre adage: “Partagez vos raies manta et vous verrez plus de raies manta”.
Ainsi, après une nuit gachée par le roulis, un départ matinal et un porridge à la fleur d’oranger, à la cannelle et raisins secs pour le petit-déjeuner, nous enfilons tous les quatre nos combinaisons de plongée pour aller nager avec les raies manta.

Nous sommes ancrés à côté de l’île de Drawaqa (qui se prononce Drawanga) et semblons être les premiers plongeurs sur l’eau, malgré un consensus parmi les plaisanciers sur le calendrier des raies manta qui, nous en sommes sûrs, se nourrissent deux heures avant la marée haute dans le passage de Drawaqa. Craignant que notre hors-bord de deux chevaux ne survive pas à la bataille contre le courant dans cette mince étendue d’eau, nous décidons de faire un premier plongeon en laissant l’annexe sur la plage faisant face à l’ouest, de marcher jusque de l’autre côté faisant face à l’est, et de nous mettre à l’eau là pour dériver vers notre point de départ. Chaque adulte est responsable d’un petit, Thomas avec Azur et moi avec Zéphyr.
La densité et la variété des poissons et des coraux sont stupéfiantes mais la vitesse du courant l’est tout autant et j’ai franchement du mal à garder un œil à la fois sur Zéphyr, qui disparaît régulièrement en bas pour explorer les coraux et les poissons qui jouent à cache-cache, et sur la plage où nous avons laissé notre annexe, à la surface, qui arrive à toute allure. Mouvements de tête en haut, en bas, en haut, en bas, tout en poussant ou traînant Zeph et en me démenant comme une folle à contre-courant (sans palmes, les miennes étant cassées) pour arriver à la côte avant qu’elle ne soit hors d’atteinte. Je repère finalement un rocher qui émerge de l’eau non loin de notre but et je parviens à l’attraper et à assurer une position stable pour que Zéphyr puisse réajuster son masque. Il ne nous reste plus que quelques mètres à parcourir, mais le rocher est glissant et avec les vagues qui le caressent vigoureusement, ce n’est pas prudent de marcher dessus. Au lieu de cela, nous reprenons notre ascension sous l’eau, progressant en nous accrochant à chaque aspérité de notre mur d’escalade horizontal. Thomas et Azur sont un peu plus loin mais viennent vers nous apparemment sans aucune difficulté. C’est grace à leurs palmes, je me dis.
Nous nous asseyons sur la plage pour nous reposer et évaluer la situation : aucun signe de raies manta pour aucun d’entre nous, et, essoufflée comme je le suis, la perspective de répéter l’exercice pour une deuxième tentative ne me dit pas grand chose, quand un bateau à moteur du complexe touristique voisin passe en trombe et vérifie apparemment la zone. Peu de temps après, quelques autres bateaux chargés de touristes apparaissent, ce doit être l’heure des raies manta. Nous sautons tous les quatre dans l’annexe, résolus à rejoindre le groupe et à voir ce qu’ils voient. Les capitaines des bateaux scrutent l’eau debout dans leurs embarcations et indiquent l’endroit où se trouvent les raies. Et bientôt, nous et d’autres voileux à bord de leur annexes, les imitons en criant et en pointant du doigt dès que nous apercevons deux ailes pointues qui font surface au-dessus de l’eau. L’information est ensuite relayée du bateau aux guides et aux plongeurs pour le bénéfice de tous.


Finalement, tout le monde a pu observer de près et nager avec les raies manta, qui étaient ponctuelles (nous ne regardions juste pas au bon endroit), le battement gracieux de leurs nageoires pectorales, et les deux petits rémora qui planent sous elles, de part et d’autre.


J’aimerais juste avoir une caméra sous-marine pour rendre justice aux créatures étranges et merveilleuses que nous rencontrons dans les fonds marins…