Il aurait eu 36 ans le lendemain. Est-ce lui, de là-haut, qui a éteint le vent pour nous simplifier la vie quand il a fallu faire demi-tour ?
Nous avions largué les amarres vers 18h avec une manœuvre impeccable pour quitter notre place de port, et une manœuvre un brin plus hasardeuse pour s’adosser au ponton du carburant entre les bateaux à moteur qui faisaient le plein. Cela m’a d’ailleurs valu une mansplaining en règle sur le pas de l’hélice qui fait chasser le cul du bateau à gauche en marche arrière, un comportement capricieux avec lequel je compose depuis six ans… Bref, 90 litres de diesel de plus dans le bide d’Obelix et une douche plus tard, nous étions en route, plein sud, deux ris dans la grand voile et un génoa pas complètement déroulé pour y aller mollo au grand largue dans 18-23 noeuds et une fenêtre météo promettant de nous propulser à Minorque en quelques 36 à 40 heures selon les modèles.
Nous allions bon train, taquinant les sept noeuds, quand au bout d’une heure la pompe de cale se déclenche par deux fois à cinq minutes d’intervalle. J’alerte immédiatement Thomas qui fait la cuisine en bas. Il va inspecter la salle moteur et remarque un liquide huileux qu’il commence à écoper pour y voir plus clair, armé d’une éponge et d’une bassine qu’il remplit puis verse dans un seau qu’Azur remonte par la trappe de la cabine arrière pour que Zéphyr le vide par-dessus bord pendant que je barre. Il pense qu’il s’agit d’eau de vaisselle qui aurait fui et très vite il se rend compte qu’en fait le bateau prend l’eau par la vanne d’évacuation de l’évier et que nous ne nous en étions pas rendu compte jusqu’à présent parce qu’un bouchon de graisse devait colmater la fuite du passe-coque abîmé. Il coupe court à nos rêves d’idylle à Cala Pregonda en nous intimant de rentrer au port, n’importe lequel, sur le champ. L’un dans l’autre, ça se goupille bien, le vent vient bizarrement de tourner et tomber rendant le retour à Carnon moins pénible qu’on aurait pu l’anticiper. On affale les voiles, je mets les gaz et l’écopage à la chaîne se poursuit.
Zéphyr et Azur échangent de poste et se disputent la parole pour s’épancher sur leurs ressentis respectifs et leurs anecdotes rigolotes pour détendre l’atmosphère. Azur, contrarié que l’aventure en mer avorte si rapidement, parvient tout de même à prendre les choses avec philosophie, s’imaginant écrire à son nouveau copain de colo pour lui raconter notre faux départ : “aujourd’hui on est partis pour les Baléares mais comme on commençait à couler on a fait demi-tour”. Zéphyr ne commente pas trop mais doit se féliciter intérieurement de l’occasion inouïe de revoir sa petite copine au lieu d’être isolé avec ses parents et son petit frère pendant trois semaines. De mon côté je suis obnubilée par l’envie d’aller danser finalement et tenter de compenser mon extrême frustration par la quête d’une euphorie semblable à celle ressentie la semaine précedente au festival de tango de Mèze où se trouvaient tous les copains.
Heureusement, le jour s’étire et la mer calme et le coucher de soleil flamboyant derrière le Pic St Loup apportent un peu de poésie à la situation. Vers 22h, Obélix et son équipage sont de retour sains et saufs place D24. Thomas se prépare à plonger et enfoncer une pinoche dans le passe-coque. Ne pouvant être d’aucune aide, je m’auto-congédie, persuadée qu’on a tous intérêt à ce que mon humeur s’adoucisse.
Une fois la réparation temporaire effectuée, les mecs visionnent un film d’aventure tandis que je retrouve des âmes compatissantes à la Nuit du Tango d’Agde, me demandant encore par quelle opération du saint esprit le vent a chuté de manière aussi subite au moment même où nous constations l’avarie.
