Échange culturel en Érythrée

Après vingt-cinq jours de mer, Obélix est enfin immobile, ancré devant Mojeidi, une île déserte au large des côtes érythréennes, en mer Rouge. Nos amis de WOLO, qui nous ont précédés de quelques jours, nous ont informés que l’île abrite une base militaire, mais que les officiers en poste y sont curieux, aimables, et ferment les yeux sur les bateaux qui se remettent de leur traversée de l’Indien ou qui s’abritent du gros temps.

L’île est essentiellement plate et sablonneuse, avec une élévation maximale de quelques mètres, sans végétation apparente, et entourée d’une eau turquoise, quoique presque opaque. A son sommet, une antenne plantée sur un bloc de béton brut semble leur servir de station de communication et quelques centaines de mètres plus loin, deux autres abris délabrés doivent leur servir de logement. De temps à autre, nous distinguons des silhouettes longilignes noires qui vont et viennent sur le fond ocre, un paysage pittoresque que j’aimerais, si j’avais le talent de notre ami Gaspar, pouvoir peindre en aquarelles.

Nous attendons leur visite toute la soirée, essayant d’imaginer leur vie dans cet endroit reclus, mais nous devons attendre le matin pour rencontrer nos “hôtes” et apprendre qu’ils sont affectés ici par périodes de trois mois, loin de leurs familles à Massawa, et qu’ils semblent se divertir de la présence de voiliers en visite. Ils débarquent le matin dans leur long bateau à moteur, tout sourire, vêtus de sarongs colorés et avec de la musique éthiopienne diffusée par leur smartphone. Loin du stéréotype des soldats à l’air sévère portant des uniformes camouflage kaki et des mitraillettes autour du cou.

La communication est difficile entre leur anglais approximatif et notre connaissance nulle de l’arabe, mais une fois les présentations faites, nous comprenons qu’ils sont à la recherche de poisson. Nous n’en avons pas, le seul poisson pêché au cours de notre longue traversée ayant fait son chemin au fond de nos estomacs depuis longtemps. Je leur offre du chocolat à la place, ils ne sont pas intéressés, et contrent mon offre par une demande de films en anglais. Nous pouvons les satisfaire et j’entreprends d’en transférer sur leur téléphone (en excluant ceux que je considère comme trop sensuels et potentiellement offensants pour leur culture musulmane, je ne suis pas sûr d’avoir raison ou d’être victime de préjugés). Ils acceptent gentiment que nous prenions leur musique en échange et pendant que les appareils effectuent leur transaction culturelle, nous, humains, partageons du café et des biscuits que nous buvons et mangeons depuis le confort de nos bateaux respectifs.

A part clarifier nos intentions et nos options (interdiction de mettre le pied sur leur île mais possibilité de débarquer sur Aucan, l’ile d’en face, et de continuer jusqu’à Massawa pour faire les formalités), très peu de mots sont échangés à partir de ce moment-là. Je remarque juste que Berkarah, qui semble être le chef du groupe, a un ongle d’auriculaire extra-long, une caractéristique que j’ai déjà observée sur d’autres hommes du Moyen-Orient, qui m’intrigue, et que j’aimerais élucider, mais les recherches sur Internet n’ont pas donné de résultats concluants jusqu’à présent.

Lorsqu’ils prennent congé, deux d’entre eux sautent du bateau, tout habillés, et continuent à la nage. À mi-chemin de la plage, l’un d’eux semble crier le nom de Thomas et quelque chose qui suggère qu’il n’en peut plus. Alors que nous demandons ce qui se passe, l’autre réplique en criant que tout va bien. Nous restons donc sur place et les observons rejoindre la plage lentement mais sûrement.

Plus tard dans la journée, après avoir manqué un gros barracuda qui nous taquinait en nageant juste sous notre nez près de la coque, Thomas réussit à pêcher au harpon trois gros spécimens et apporte le plus gros à nos nouveaux amis. Reconnaissants, ils l’autorisent exceptionnellement à descendre à terre et lui font même visiter leurs quartiers, un dortoir avec quatre lits de fortune dans un hangar et des mitrailleuses accrochées au mur, et un coin cuisine avec un feu ouvert dans l’autre. Lorsqu’il demande des œufs de échange, ils sont désolés de ne pas en avoir, mais lui conseillent d’aller voir sur l’île d’Aucan, à 2 milles nautiques de là, du côté nord… où les tortues nichent.

Malheureusement, je ne me souviens plus d’autres détails de l’allure étonnante des quatre militaires érythréens rencontrés une seule fois, et bien que je leur aie demandé poliment, ils ont catégoriquement refusé d’être photographiés, de sorte que leur portrait restera poétiquement flou. Reste la jolie musique comme souvenir d’un autre genre, mais le mystère demeure entier sur l’ongle excessivement long, le crawl chaotique jusqu’à la plage et le goût des œufs de tortue.

Published by Salome

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