(¯﹃¯) LAISSEZ. MOI. DORMIR! Me crie mon corps à s’époumonner. Juste une nuit complète et ininterrompue pour se remettre de notre marathon indonésien de deux mois qui s’est soldé par un sprint final digne d’une médaille Olympique.
Après une autre longue étape au moteur le jour de l’anniversaire de Zéphyr, le 30 novembre, agréablement passée à célébrer douze ans de parentalité en feuilletant les albums photos de famille avec tendresse, et savourer des crêpes pour le petit-déjeuner, des wraps aux crudités colorés pour le déjeuner suivis d’un scandaleux gâteau au chocolat à deux étages avec glaçage au dulce de leche, et enfin des lasagnes végétariennes, du vin et de nouveau du gâteau pour le dîner avec nos amis et compagnons de route Pascal et Marie-Laure, le jour suivant, qui était censé nous voir célébrer en beauté notre passage de l’équateur, avec Pascal déguisé en Poséidon et tout le tintouin, a pris une toute autre tournure.




Le matin, Zéphyr s’est plaint de ne pas se sentir bien et n’a rien avalé au petit dej. Lorsque nous avons pris sa température, il avait de la fièvre et, après une gorgée d’eau, il a vomi. Nous étions déjà en route et avons appelé Pascal à la VHF, médecin généraliste, qui, en raison de notre passage dans une zone impaludée, nous a conseillé de surveiller de près l’état de Zéphyr et de lui faire passer un test de dépistage du paludisme dès que possible. Cela signifiait changer de cap pour atteindre un centre médical ou un hôpital d’une traite, le plus proche étant à Batam ou Bintan, toujours à 80 milles, sauter les dernières petites étapes prévues pour cette fin de voyage, les superbes plages promises en chemin, notre fête de l’équateur, et ajouter une navigation de nuit malvenue, mais nous étions résolus à prendre cela au sérieux.

Cependant, vers la fin de la journée le courant, les vents contraires et la mer agitée qui nous empêchait d’avancer ont eu raison de nous, et épuisés par ce voyage mouvementé passé à esquiver les orages et les trombes d’eau, nous avons tous convenu d’une courte escale réparatrice au sud de Mesanak, une île en forme de Γ avec des rivages sablonneux peu profonds, facile à atteindre de nuit. Cela permettrait également aux vents de tourner du Nord au Nord-Ouest et d’être moins défavorables à notre progression. Pascal est monté à bord peu après s’être ancré, vers 21 heures, pour examiner Zéphyr qui était toujours fébrile, se plaignait d’un mal de tête mais ne présentait aucun autre symptôme alarmant.
À moitié rassurés, nous nous sommes endormis, mais avons été réveillés à 3 heures du matin par une bourrasque qui secouait à nouveau le bateau. Pas de quoi faire une escale reposante. Nous sommes partis à l’aube, vers 6 heures, crevés mais déterminés à atteindre soit la pointe sud des îles Riau reliées par la route à la ville de Batam, soit Sembulang sur la côte est de Batam, ou encore Tanjung Pinang plus à l’est sur Bintan. En arrivant à la pointe de l’île Mensanak, il est devenu évident que si nous voulions avancer à une cadence raisonnable, notre seule option était Tanjung Pinang, les deux autres destinations étant bien trop au près pour nous. Je me suis effondrée après mon quart du matin et ne me suis réveillée qu’à l’heure du déjeuner, où nous n’étions plus qu’à 8 milles et où la mer était à nouveau calme. Soulagement.
Pour la première fois depuis des semaines, deux autres bateaux étaient ancrés dans le port devant nous, et nous avons pensé leur demander des conseils, mais n’avons trouvé personne à bord, alors nous nous sommes aventurés équipés de Google Maps et Deepl comme seuls guides dans cette ville. Azur pestait parce qu’il bruinait et qu’il ne voulait pas marcher sous la pluie, on lui a donné un imperméable pour le faire taire, une première je dirais, dans cette saison soi-disant humide qui devrait, je pense, être rebaptisée saison des orages (à moins que les orages soient aussi fréquents toute l’année, je n’ai pas envie de rester plus longtemps pour confirmer ou infirmer).

Après une courte promenade de 5 minutes, passant par des bâtiments construits sur pilotis, récupérant le front de mer et faisant ressembler les franges de la ville à une Venise indonésienne, nous sommes entrés dans une première pharmacie où l’on nous a conseillé de nous rendre une demi-heure de marche plus loin, où il y avait des médecins qui pouvaient prescrire un test. Nous avons continué à marcher et sur notre chemin, nous sommes passés devant ce qui ressemblait à un hôpital. L’entrée n’était pas évidente et le premier bâtiment dans lequel nous sommes entrés était une autre pharmacie où l’homme ne parlait pas anglais. En lui montrant mon texte traduit en anglais, il nous a renvoyés et nous a indiqué l’hôpital voisin, dont nous n’avons toujours pas trouvé l’entrée en sortant. Nous avons alors demandé aux passants les plus proches, qui se trouvaient être des militaires en uniformes synthétiques et crocs camouflage, l’un d’entre eux nous a joyeusement conduits à la réception du Rumkital* (Hôpital) où il a été formellement salué en entrant. Il a parlé en notre nom, et quelques minutes plus tard, Zéphyr a été examiné par une gentille femme médecin, voilée et masquée, qui nous a ensuite expliqué, à l’aide de mon téléphone et de mon cher Deepl, qu’ils ne prescrivaient de test de paludisme qu’aux patients ayant eu de la fièvre pendant 7 jours consécutifs. Et de toute façon, ils ne pouvaient pas faire le test aujourd’hui, nous devions revenir lundi pour être vus par un pédiatre. Apparemment, ils ne se souciaient pas de la forme plus rare mais fulgurante de la maladie. Insistant sur le fait que nous voulions faire tester Zéphyr aujourd’hui, elle nous a conseillé un autre hôpital, à 30 minutes de là. Un tour de Gojek* plus tard (* équivalent indonésien d’Uber), nous étions au deuxième hôpital, plaidant notre cause pour la quatrième fois. Cette fois, Zéphyr a été allongé sur un lit pour faire une prise de sang. À sa grande détresse, ils ont laissé le cathéter sur le dos de sa main au cas où ils auraient besoin de plus de sang, qu’il n’a pas bougée un moment, trop effrayé de heurter quelque chose par inadvertance. Il ne voulait même pas que je m’assoie sur son lit à côté de lui pour lui faire un petit massage des pieds.
Les résultats sont revenus plus tôt que prévu (j’avais envoyé Thomas et Azur chercher de la nourriture à emporter en ville et j’ai dû les rappeler). Négatif pour le paludisme et la dengue. Rien à signaler, il devait s’agir d’un virus banal. Nous avons reçu le feu vert et sommes retournés sur le front de mer. J’ai invité Pascal et Marie-Laure à se joindre à nous pour un dîner de célébration dans un endroit que j’avais repéré sur Google Maps mais que j’aurais dû m’y attendre, nous nous sommes retrouvés dans un restaurant bling-bling surdimensionné, hors de prix, à la nourriture moyenne où nous étions les seuls clients, et où ils ont réussi à foirer la moitié de la commande et à oublier mon plat, si bien que je n’ai grignoté quelques parts des pizzas des enfants (j’ai fait un cauchemar à ce sujet la nuit même). Api Biru (Feu et bleu). On ne m’y reprendra plus!

Soulagée (mais pas tout à fait satisfaite, mon estomac aspirait à un meilleur dîner et j’en voulais à Thomas d’avoir choisi le plat le plus cher du menu, bien que Pascal, décidément très généreux, en ait payé la moitié), nous sommes retournés au bateau. Nous n’avions fait que noter mentalement l’endroit où nous avions débarqué avec l’annexe, mais nous avons réussi à trouver notre chemin comme si nous savions ce que nous faisions. Il semblait y avoir un certain ordre dans le chaos après tout.
Ou pas. À 3 heures du matin, des vents de 30 nœuds font rage dans le canal et, pire encore, notre ancre chasse. Avec trois bateaux faisant la queue derrière nous, c’est un miracle que nous n’ayons rien heurté quand Thomas s’en est rendu compte. Je l’ai rejoint sur le pont pour évaluer la situation et trouver une solution. Il nous a fallu deux tentatives pour finalement nous ré-ancrer correctement, en posant 60 mètres de chaîne dans 5 mètres de boue et tenir. Nous ne saurons jamais si c’est parce que les vents sont tombés. Ce qui est sûr en revanche, c’est que les orages et les représentants des mosquées doivent avoir un accord en Indonésie, ok, vous, les grains, prenez le créneau de 3 heures du matin, come ca nous gardons notre créneau de 4 heures. Parce que ca n’a pas loupé, à peine avions-nous éteint le moteur que l’appel à la prière se faisait entendre au loin.

Entre les appels à la prière qui perturbent le sommeil, une grand voile déchirée, la menace de palu, des patates de corail non cartographiées, des navigations presque exclusivement au moteur dans pratiquement aucun vent ou contre le vent, combiné avec des grains, des orages, des trombes d’eau, et des navigations de nuit dans des champs de mines de bateaux de pêche, de filets, de FADS et autres bouées exigeant un niveau de vigilance accru, l’Indonésie m’a épuisée et je suis prête à quitter ses eaux traîtresses. ET À PASSER À AUTRE CHOSE.



Ah non, il y a encore le détroit de Malacca à traverser, qui promet d’être tout aussi délicat…
PS : Ce billet a été écrit pendant une nouvelle insomnie causée par un grain qui m’a réveillée à 3 heures du matin bien que nous soyons amarrés en toute sécurité à Nongsa Point Marina. Je promets qu’il y aura d’autres billets sur notre voyage en Indonésie avec une perspective plus positive sur notre expérience à Jepara, Karimun Jawa, Belitung et Bangka.