De loin, ça ressemble à un immense château de conte de fées avec une douzaine de hautes tours aux dômes émeraude, azur et or délavés qui dépassent de la forêt bordant la plage. Sans la recherche Google effectuée plus tôt, nous l’aurions probablement loupé, dans notre quête pour remplir nos réservoirs à la marina de Jepara avant de naviguer à travers Karimunjawa, Belitung, Bangka et les îles Riau, réputées pour leur manque de diesel de qualité. Soucieuse de notre bien-être et me demandant ce qu’il y a d’autre à faire dans la région à part faire le plein de diesel, je suis tombée sur ce parc à thème Disneyland en devenir, abandonné avant d’être terminé selon certaines critiques, néanmoins, prête à saisir la chance de rompre la monotonie de journées entières de navigation au nord-ouest vers le détroit de Malacca, je leur ai envoyé un message WhatsApp pour confirmer qu’ils étaient ouverts.

Nous gardons la surprise pour les enfants, qui, après avoir jeté l’ancre, sont priés de mettre des chaussures pour une courte promenade. Ils ne manquent pas le bâtiment incongru et commencent à faire des suppositions sur ce que cela pourrait être, quand Azur remarque un avion à l’entrée et conclut qu’il s’agit d’un aéroport! Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle il y a effectivement un vieil avion à l’entrée, qui a manifestement été dimensionnée pour accueillir des centaines de visiteurs mais qui est actuellement vide (mardi, jour d’école/travail ?), car nous sommes sur le point d’entrer, non pas dans un aéroport, mais dans un parc aquatique*. Qui fait également office de mosquée, comme je l’ai appris plus tard.

Un groupe d’étudiantes est en train de se rhabiller et une famille est sur le point de partir quand Zéphyr, Azur et moi arrivons, ce qui fait de nous les seuls visiteurs du parc en cette fin d’après-midi, avec près d’une douzaine d’employés pour nous assister. Thomas doit nous rejoindre après les trois allers-retours qu’il a prévus à la station-service la plus proche pour faire le plein de nos réservoirs, quatre jerricans de vingt litres à la fois.
Dans le vestiaire, alors que j’enfile mon rash top et mon short de yoga apportés pour couvrir le bikini un peu trop sexy, je ne peux m’empêcher de remarquer que toutes les filles enlèvent leurs leggings mouillés et T-shirts à manches longues qu’elles portaient pour se baigner, et je me sens assez dévêtue, mais qu’importe, la priorité est de divertir les enfants qui sont ravis d’être ici. Ils ne sont jamais allés et ont toujours rêvé de visiter un parc aquatique, alors ils sont aux anges, l’adrénaline leur monte à la tête devant les toboggans colorés, longs et abrupts qu’ils s’apprêtent à dévaler.

Bien sûr, on peut s’interroger sur les murs fissurés, les flaques d’eau à l’intérieur de certains bâtiments fermés, et les sols carrelés glissants (l’architecte a apparemment pensé que c’était une bonne idée d’utiliser des carreaux lisses dans un parc aquatique), mais l’excitation est à son comble lorsque nous arrivons en haut des escaliers armés de nos matelas en mousse bleue prêts à sévir.
Après une brève hésitation, Azur décide d’y aller en premier. A peine a-t-il disparu dans le tunnel du toboggan rouge que nous entendons un “Je suis coincé ! Comment je remonte ?” Inutile de dire que je dois rassembler le peu de patience que je possède pour expliquer de ma voix la plus douce que les toboggans sont des dispositifs à sens unique, qui ne sont pas destinés à être remontés. Perplexe, le sauveteur indonésien de service me demande ce qui se passe, ou du moins c’est ce qu’il semble, car je ne parle pas indonésien et il ne parle pas une once d’anglais. Il fait alors un geste de tortillement, et nous transmettons l’information à Azur qui doit essayer de se tortiller d’un côté à l’autre pour que son tapis glisse, en vain. Puis le maître nageur hurle quelque chose à son collègue en bas, ce qui perturbe encore plus Azur : “Maman, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ?” Comme si j’avais appris l’indonésien dans la foulée. On ne sait pas ce qui se dit, mais Azur réussit finalement à glisser vers le bas, en nous saluant d’un “Bye-bye” espiègle, jusqu’à ce que… il se bloque à la boucle suivante, et se débloque, émergeant à l’autre bout peu après, ravi.

Lorsque Zéphyr et moi faisons notre grand plouf à côté de lui, chacun depuis notre propre toboggan parallèle, un groupe d’employés du parc nous incite à prendre les tapis en mousse blanche au lieu des bleus, trop usés et collants. Nous remontons en courant pour réitérer l’expérience avec, cette fois, nos tapis haute performance. Ils sont plus rapides, en effet, personne ne reste coincé, mais le pire, c’est que je glisse à une telle vitesse que quelqu’un se hate de placer une bouée gonflable comme tampon contre le mur du bassin pour que je ne m’y écrase pas, et quelle présence d’esprit, sans quoi nous aurions été bons pour un autre séjour à l’hôpital !

C’est ainsi que l’après-midi se déroule, d’une montée d’adrénaline à l’autre, jusqu’à ce que je propose aux enfants de descendre la rivière tranquille pour faire une pause et, étant les seuls sur leur parcours d’Indiana Jones, ils mettent une éternité à faire le tour de la boucle et le temps qu’ils sortent, un message indistinct dans le mégaphone m’avertit qu’il est probablement l’heure de la fermeture. Pas le temps de prendre une douche, qui sont toutes déja fermées, et nous quittons donc le parc par la porte de derrière (tout le monde semble savoir que nous sommes les propriétaires du yacht ancré à proximité) en nous dirigeant vers la plage en maillots pour une dernière baignade avant de retourner au bateau, quand il se met à pleuvoir.

Jusqu’à présent, la saison des pluies indonésienne n’avait été humide que de nom, et bien que Thomas aurait aimé remplir nos réservoirs d’eau de pluie fraîche pour réaliser ses rêves d’autosuffisance, plus d’une fois il s’est retrouvé sur le pont du bateau, le corps savonné, à attendre en vain ce qui ressemblait à une averse pour le rincer, qui s’est avéré être une petite bruine, sans plus. Cette fois-ci, c’est différent. Un lourd rideau de pluie est accompagné d’une tornade qui inquiète Azur alors qu’elle se rapproche de notre mouillage, menaçant la tranquillité de notre Obélix qui attend patiemment notre retour, tandis que j’essaie de dissimuler ma propre anxiété en le rassurant du mieux que je peux. La trombe se résorbe, mais il ne faut pas longtemps pour que des vents violents et une pluie torrentielle s’abattent sur nous, nous obligeant à nous replier sous l’abri surélevé construit à cet effet, situé face à la plage. Nous sommes rejoints par quelques villageois qui réparaient une épave et par un couple d’employés du parc qui rentrent chez eux et ont arrêté leur scooter en attendant que le déluge cesse. Nous partageons avec eux des morceaux d’ananas que nous avions gardés pour le goûter, mais, avec la barrière de la langue, pendant l’heure qui suit, nous ne pouvons pas partager beaucoup plus que cela et quelques hochements de tête et sourires en regardant les enfants courir sous la pluie ou sauter dans les flaques d’eau qui atteignent rapidement une hauteur impressionnante.




Lorsque Thomas revient enfin de sa mission de ravitaillement, toute la zone est inondée et nous prenons la décision exécutive de prolonger notre cocooning par un dîner au luxueux restaurant Kadjiné, situé juste à côté, où, là encore, nous sommes les seuls clients. Peu importe que la piscine soit hors d’usage à cause du traitement chimique, nous terminons la journée en beauté en dégustant des mocktails, des hamburgers, des frites et des plats locaux, sans faire de mal à notre portefeuille non plus, l’addition atteignant à peine 20 $ NZD. Comme on dit, keberuntungan berpihak pada yang berani ! Ou, la chance sourit aux audacieux, en clair.



* Le mystère est résolu lorsque Yunus, le bienfaiteur improvisé de Thomas et son chauffeur pour la journée, lui explique que l’avion est là pour que les habitants qui n’auront jamais les moyens de se payer un vol puissent voir à quoi cela ressemble à l’intérieur.