Du Vanuatu au Détroit de Torres

Le destin n’a pas voulu que nous atteignions l’île Thursday, appelée localement TI, n’importe quel jour, et après dix jours et demi de mer, nous jetons l’ancre dans le détroit de Torres peu après minuit un jeudi, suivant les traces de James Cook nomma les îles environnantes d’après les jours où il y a débarqué. Techniquement, nous sommes au large de l’île Horn, juste en face de TI, nichés entre un banc de sable et la mangrove, pour nous abriter des forts vents de sud-est. Notre plus longue traversée jusqu’à présent (sans escale) s’est déroulée sans drame, malgré une vague scélérate qui s’est invitée dans notre cockpit et notre salon le premier jour peu de temps après avoir quitté le Vanuatu sans vent, plusieurs grains rencontrés par la suite avec des éclairs observés de loin presque toutes les nuits, et une paire de vomis pour moi. C’est officiel, nous avons laissé derrière nous l’océan Pacifique et sommes maintenant au pays des crocodiles, entre la mer de Corail et la mer d’Arafura.

Statistiques

DépartWunpuko, Santo (S 14º41.896′ E 166º33.884′)
ArrivéeThursday Island, Australie (S 10º35.99′ E 142º13.201′)
Distance1515 miles nautiques
Jours en mer11
Vitesse6 nœuds de moyenne, avec vitesse maximale de14 noeuds
Moteur12 heures (4 le premier jour pour s’éloigner de Santo, et 8 le 8ème jour)
Vent4-44 nœuds (au portant), au-delà de 20 nœuds la plupart du temps
Baignade1 (le 8ème jour)
Poissons1 (le dernier jour)

Percée de la Grande Barrière de Corail par Yule entrance

Restés lontemps loin des côtes de la Papouasie en progressant vers l’ouest un maximum pour contourner une accalmie, au moment d’approcher de la péninsule de Yorke, petite corne au Nord Est de l’Australie, nous étions encore assez au sud et la route par l’entrée de Bligh (par Jimmy Cornell) représentait un détour assez long pour traverser la Grande Barrière de Corail. Nous avons donc cherché une alternative et découvert que nous pouvions économiser 60 milles, soit près d’une demi-journée de navigation, si nous traversions la Grande Barrière de Corail par l’entrée de Yule, qui semblait être, à en croire l’échelle de notre carte C-map, une passe de 200 mètres de large.

Le seul problème était qu’elle n’était pas mentionnée par Jimmy Cornell dans son World Cruising Routes, notre référence pour planifier nos passages. Avec les enfants qui nous poussaient à prendre le “raccourci”, nous nous sommes renseignés auprès de nos amis marins pour trouver plus d’informations, et bien qu’ils n’aient pas trouvé grand chose, ils ont confirmé qu’avec de bonnes conditions, cela devrait être faisable. Certains (je ne soupçonnais pas ce goût du risque chez mon amie Claire) ajoutant qu’il serait même aventureux de s’écarter des sentiers battus, et certains (merci Marion), nous donnant toutes les informations sur les courants compensateurs opérant dans cette zone soumise aux marées semi-diurnes. Un jour je comprendrai comment tout cela fonctionne, pour l’instant ça me passe au-dessus de la tête.

J’ai vérifié que nous pourrions atteindre l’entrée de jour, à l’étale, la marée haute coïncidant opportunément avec le lever du jour, et que nous aurions suffisamment de lumière pour éviter les récifs et les bancs de sable qui se trouvaient plus loin sur la route avant de rejoindre le Great Channel (canal de navigation principal). Ainsi, ayant tout “sous contrôle”, nous avons opté pour le “raccourci”, non sans une certaine appréhension.

La nuit précédente, le vent s’est renforcé et malgré nos trois ris dans la grande voile et un génois enroulé, nous progressions trop vite (6-7 nœuds),m ce qui nous faisait arriver de nuit à la passe. Alors, lors de son dernier quart, avec seulement 12 milles à parcourir, Thomas a amené la grand-voile et a troqué le génois contre la trinquette. Toujours trop rapide (4-5 nœuds). A 6 heures du matin, à 2 milles de la passe, nous nous sommes mis à la cape en fausse panne, laissant Obélix dériver lentement pour attendre le lever du soleil.

Yule entrance

Bien qu’impressionnant, avec des vagues s’écrasant de part et d’autre, la passe était très bien cartographiée et nous l’avons franchi facilement, retrouvant de l’autre côté la tranquillité d’un lac bleu vert. Quel plaisir de prendre son petit déjeuner sans avoir à faire attention à sa tasse de thé !

Clearance on Thursday Island

Ainsi, le jeudi, après une bonne nuit de sommeil, nous avons rangé le bateau, prêts à accueillir les officiers des douanes à bord, et nous avons pris contact avec Ports North / T.I. Harbour pour organiser notre arrivée le long de leur quai pour les formalités. Nous avons obtenu un créneau à 13 heures, et nous nous y sommes rendus peu après un déjeuner de poisson (avec le seul poisson pêché entier pendant la traversée). Compte tenu du vent et de la marée, l’accostage s’est avéré très difficile et je suis surprise de ne pas avoir perdu la boule avant que le bateau soit “sécurisé” par les agents du quai, sous les yeux des agents des douanes et de la biosécurité qui nous attendaient patiemment. Comme ils ne voulaient pas monter à bord, Thomas a grimpé à l’échelle pour s’occuper des formalités tandis que je restais derrière avec les garçons, écoutant les cordes grincer et craignant pour toutes nos ferrures qui souffraient sous la charge (une a cédé et doit être réparée). Le temps de faire la vaisselle et de m’installre dans le cockpit pour écrire avec une tasse de thé et un triangle de chocolat, Thomas est revenu avec un sourire, il avait besoin d’une signature de ma part, mais à part ça, pas d’inspection de biosécurité, rien à payer, et, bonus, notre linge sale récupéré par l’officier du port pour nous faire la lessive. Que demande le peuple ? Ils savent vraiment comment accueillir leurs visiteurs ici !

Loisirs de traversee

Je suis sûr que la façon dont les gens passent leurs journées en mer varie d’un bateau à l’autre, mais j’ai pensé dresser une liste des différentes activités que nous avons appréciées cette fois-ci :

  • Se raconter des blagues
  • Devinettes de nos familles et amis (envoyées sur Iridium GO !)
  • Manger des mangues (on nous en a donné une pleine caisse dans le dernier village que nous avons visité au Vanuatu).
  • Couper et boire des noix de coco fraîches (offertes au dernier village du Vanuatu)
  • Les enfants font des gâteaux, du pain et des pizzas.
  • Jouer aux échecs (et se faire battre par Zephyr)
  • Pêcher (avec un succès très limité)
  • Apprendre l’espagnol
  • Apprendre à résoudre des équations du second degré
  • Lire (Azur a commencé les Harry Potter, découvrant le plaisir de tomber dans un livre et de se prendre pour le personnage principal, Zéphyr a lu les livres 1 à 10 des “Orphelins Baudelaire”, j’ai terminé “Trois Amis en quête de Sagesse” mélangeant philosophie, psychologie et bouddhisme, tandis que Thomas a lu “Along the clipper way” de Sir Francis Chichester, comme s’il n’en avait pas assez des aventures en mer ou qu’il voulait mettre nos mésaventures en perspective avec les vraies épreuves du temps jadis)
  • Regarder des films (notamment les favoris de notre enfance comme “La Boom”, et devoir s’arrêter lorsque le bateau a empanné par inadvertance à cause d’un grain entrant, sans qu’aucun dommage ne soit causé, ironiquement grâce au frein de bôme).
  • Tatouages en décalcomanies
  • Baignade lorsque le vent est tombé et que nous avions besoin de nous rafraîchir.

4 comments

  1. Hi, i am François ton ancien voisin des granges à Besançon. Il nous manque des nouvelles depuis début septembre où j ai revus les thésards Bardelots. Ont suit votre périple sur la carte et plus de nouvelles. Depuis mi septembre. En espérant que vous allez bien.

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  2. […] J’ai lu récemment dans “Trois amis en quête de sagesse” que lorsque vous tenez une feuille de papier, vous devez remercier pas moins de trente-cinq pays pour leur contribution à son existence.De même, lorsque je suis assis sur Obélix au-dessus de kilomètres d’eau, que je remplis mes poumons de l’air le plus pur, que j’écoute le son (parfois pas si doux) des vagues caressant la coque, que je suis témoin d’un lever ou d’un coucher de soleil ou d’un épisode banal de la vie de famille à bord, je ne peux m’empêcher d’être reconnaissant envers tous les contributeurs qui ont rendu ce voyage possible.Pour ce qui est de la fabrication du bateau lui-même, je suis sûr que je pourrais énumérer plus de trente-cinq pays pour sa conception, sa construction et l’approvisionnement de ses différentes pièces. Et puis il y a tous ceux qui ont contribué à faire d’Obélix le bateau qu’il est aujourd’hui et qui nous ont encouragés à poursuivre le rêve et à le transformer en réalité.Tout a commencé avec nos parents qui nous ont élevés, nous ont donné une bonne éducation et ont nourri notre esprit libre, nous donnant les clés pour trouver un emploi décent, économiser de l’argent et tracer notre propre chemin. Et nos frères et sœurs qui nous ont également soutenus dans notre projet, sans nous en vouloir (trop) d’avoir déménagé si loin pendant si longtemps, les privant de la compagnie de leurs enfants, frères, sœurs, petits-enfants et neveux. Vous nous manquez. Un jour, nous nous rattraperons.Merci également à :Mes grands-parents, mon oncle Denis, mes tantes Elisabeth et Françoise qui ont passé du temps à l’étranger avant moi, éveillant ma curiosité et faisant grandir mon appétit pour les voyages internationaux.Frédérique, ma prof de danse et mon gourou, qui m’a donné envie de trouver du réconfort sur l’eau, avec ses histoires de France Guillain qui a élevé ses trois filles sur des bateaux.Camille, mon amie d’enfance avec qui nous avons passé d’innombrables après-midis à rêver d’aventures lointaines.Ariane, ma colocataire à l’internat, pour avoir passé notre première nuit ensemble à me raconter son tour du monde avec ses parents, renouvelant mon envie de suivre un jour son chemin.Thomas pour avoir cru que nous pouvions traverser les océans ensemble malgré tous mes défauts, ainsi que pour avoir compris que je devais régulièrement danser à fond pour évacuer le stress et la tension de la vie quotidienne (même sur l’eau).Zéphyr et Azur qui n’ont émis aucune réticence à lancer les lignes (même si Azur a admis plus tard que le jour le plus triste de sa vie était son dernier jour à l’école de Bayswater où il a dit au revoir à tous ses amis ; et le fait qu’ils demandent régulièrement à passer plus de temps au même endroit). Ces petits gars ne cessent de m’impressionner par la créativité et le panache avec lesquels ils adoptent ce mode de vie.Chris W. pour avoir pris de mes nouvelles un jour, en me demandant si j’étais heureux. Cela m’a sûrement incité à faire bouger un peu les choses et à chercher ce qui comptait vraiment pour moi.Naomi pour m’avoir invitée à une séance de coaching autogérée sur nos rêves impossibles, un catalyseur qui a mis en évidence la priorité de ce projet sur tous les autres et m’a fait entamer le processus de sa réalisation. Et pour l’organisation et la réalisation d’une cérémonie de bénédiction en bonne et due forme pour Obélix, fraîchement installé à Bayswater. (lire Happy B-day Obelix !)Marion pour avoir demandé une fois “quand vas-tu arrêter de chercher et commencer à acheter un bateau ?”, un retour à la réalité bien nécessaire. Et pour être venue à la demande de dernière minute pour ranger le bateau après le projet de refit qui l’avait transformé en zone de guerre, et encore là pour aider avec la dernière couche d’antifouling. (lire Lifting – D’Obelix)Inès pour son offre désintéressée de rester chez elle pendant la réparation d’Obélix, la fois où je l’ai mis sur les rochers et les innombrables thés que je me suis invité à boire chez elle après cela pour m’arrêter pour discuter. (lire Scrapes, scratches and silver lining).Mes amies wonder women qui m’ont fait confiance pour une journée de skipper d’Obélix afin de prendre confiance et de me prouver que je savais me débrouiller sur le bateau au cas où il arriverait quelque chose à Thomas (lire Obélix et les wonder women).Max, le Français classique, pour toute son aide autour du bateau, son amitié, et pour avoir permis à Thomas d’obtenir son diplôme de nègre de bateau de niveau 1 lors de notre dernier projet de rénovation du pont. (lire Lifting – D’Obelix)Jean-François pour son savoir-faire et son travail impeccable sur les voiles et le lazybag, qui mérite une partie du crédit pour la performance globale d’Obelix.Gaspar pour avoir ajouté avec ferveur des commentaires à mes articles, cela compte et me fait chaud au cœur de sentir le lien avec des amis proches, même séparés par des océans.Julie, ma chère professeure de yoga, pour ses conseils doux et attentionnés, et pour avoir encouragé mon sens de l’équilibre, ma force et ma persévérance.Plus largement, tous ceux qui, autour de nous, remettent la vie en question et osent sortir des sentiers battus, pour nous avoir montré qu’une autre voie est possible et que nous n’avions pas à accepter le confortable paquet de bonheur à taille unique qui nous est commercialisé.Mes amis navigateurs pour m’avoir encouragé dans les moments de doute et ne m’avoir jamais regardé de haut du haut de leur expérience de milliers de kilomètres. Ils continuent à me donner de précieux conseils lorsque nous nous lançons dans une traversée sans y avoir mûrement réfléchi. (lire Du Vanuatu au détroit de Torres) […]

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