La navigation vers Tanna est la plus désagréable que nous ayons eue jusqu’à présent, avec des vents forts et des clapots désordonnés qui nous frappent de côté bien trop souvent. J’ai le mal de mer tout le temps et, comme Azur, entre deux vomissements, je passe mon temps à imaginer un moyen d’annoncer à la famille que je préfère prendre le prochain avion pour l’Europe plutôt que de continuer à faire le tour du monde comme prévu. Je ne suis pas prévenue lorsqu’une baleine à bosse saute autour du bateau, Thomas et les enfants savent qu’il vaut mieux ne pas me réveiller et me laisser dormir pour oublier à quel point je me sens mal, et je ne prends pas la peine de me lever lorsque nous approchons de la terre, sauf lorsqu’il est temps de jeter l’ancre à Port Resolution, juste après l’heure du déjeuner, qui a été retardé jusque là.

Dès que nous sommes immobiles (ou presque, car nous sommes à peine abrités des vents de plus de 20 nœuds dans cette baie trop peu profonde pour s’y engager completement), nous recevons les salutations successives de trois des cinq autres bateaux ancrés dans la baie. Chacun d’entre eux nous dispense ses conseils sur la formalités de douanes et les coutumes locales, nous informe qu’il sera difficile de joindre quelqu’un aujourd’hui étant donné qu’un rallye automobile a fait sortir tout le monde des villages ces derniers jours, et nous avertit des forts vents du nord prévus dans quelques jours, faisant de Port Resolution un mouillage inapproprié. Charmant. Nous venons d’arriver et nous sommes déjà chassés par le temps.


Une bénédiction déguisée néanmoins. Nous avons eu la vie tellement facile à Nouméa, avec notre routine bien établie de ramassage et de dépose des enfants à l’école, de retrouvailles avec les amis, de visites à la bibliothèque publique, aux boulangeries et aux bars dansants, pour nous gaver de BD, de baguettes et de SBK, que nous avons en quelque sorte perdu la notion du temps. Et quand on revoit notre planning, on se dit que pour passer le detroit de Torres avant fin septembre, il faut se dépêcher. Notre voyage au Vanuatu doit donc être un passage rapide avant de reprendre la route vers l’ouest. Après un référendum familial sur de multiples itinéraires, nous écartons les îles Salomon car le saut d’île, bien qu’attrayant, s’avérerait trop inefficace (et coûteux) dans notre course contre la montre et nous choisissons de nous diriger directement vers Thursday Island depuis Luganville, le port d’entrée le plus au nord du Vanuatu.

Après un bon déjeuner et un peu de repos, Thomas et moi descendons à terre et sommes accueillis par le chef, Johnson, qui parle huit langues, dont le français sans la moindre trace d’accent (j’ai honte de celui de mes enfants en comparaison !). Il nous explique que son grand-père a été le premier de l’île à étudier à Paris et que depuis, dans la lignée du chef, son père puis lui ont été envoyés dans une école française. Son frère Stanley, chargé de la coordination avec les officiels, est parti au rallye et nous devrons probablement attendre lundi pour être accueillis. C’est un peu délicat avec les vents du nord qui arrivent, mais que faire…
Le samedi matin, la chance est de notre côté lorsque nous sommes informés que les fonctionnaires de l’immigration et de la biosécurité sont en route depuis Lenakel pour l’autorisation, que nous expédions quelques heures plus tard au “Yacht club” (un bâtiment de fortune à murs ouverts qui a connu des jours meilleurs, reconnaissable uniquement aux guirlandes de drapeaux de courtoisie internationaux et aux diverses bannières de rallyes de yachts qui ornent son plafond). Total payé : 17 800 VT, soit environ 250 $ NZD. 5 000 VT pour la biosécurité + 4 800 VT pour l’immigration + 3 000 VT pour le carburant de Lenakel + 5 000 VT supplémentaires pour la douane, bien qu’elle soit traitée plus tard à Port Vila, pour le dédouanement à Port Resolution qui n’est pas un port d’entrée officiel.




Il nous reste donc une mission à remplir à Tanna avant de décoller : rendre hommage au Mont Yasur, le volcan actif qui se donne en spectacle chaque nuit, crachant des ambres luminescents avec des rugissements effrayants. D’après le bateau n°3, nous avons deux options : l’officielle, organiser le tour via Stanley (pour 10,500 Vt/adulte et 7,000 Vt/enfant incluant le transport en jeep jusqu’au pied du sommet, soit près de 500 NZD pour toute la famille) ou l’officieuse, se rendre au village voisin et demander à Donovan de nous y conduire à pied par une piste de raccourci de 2 heures (pour 2,900 Vt/pers). Nos finances nous dictent de choisir la seconde solution, car après les frais de biosécurité, d’immigration et de transport payés aux autorités, la somme que j’avais échangée à Nouméa est tombée en dessous du prix d’un voyage officiel en famille au volcan et il n’y a pas de distributeur de billets dans les environs, ce qui, franchement, aurait l’air absolument anachronique dans les villages de cases traditionnelles. À propos, j’ai entendu dire que les gens croyaient encore à la magie dans ce pays, et je pense qu’on ne peut pas leur en vouloir puisque l’environnement dans lequel ils vivent est l’image exacte des monde magiques tels que nous les depeignent les romans fantastiques, où la nature envahissante nous fait sentir comme des marionnettes insignifiantes soumises à tous ses caprices.

Nous descendons donc à terre une fois de plus, errant le long de la côte, à la recherche de ce Donovan. Mais lui aussi est parti regarder le rallye et comme l’après-midi touche à sa fin et que nous voyons nos chances de faire une excursion au coucher du soleil sur le volcan fondre comme neige au soleil tropical, nous décidons d’essayer de participer à l’excursion officielle organisée par d’autres plaisanciers, en offrant l’argent qu’il nous reste (ou 25% de moins que le prix). Il nous faut un peu de temps pour convaincre à la fois le chauffeur et les agents d’entrée du parc du volcan (le tout coordonné par Stanley au téléphone alors que la jeep est prête à partir), mais nous parvenons finalement à un accord, et nous sautons à l’arrière du pick-up pour un trajet amusant le long de la route non goudronnée et cahoteuse menant au Mont Yasur.
On me dit plus tard (l’un des autres plaisanciers) que la negociation ne fait pas partie de la culture Ni-Vanuatu et que ce que nous avons fait était très offensant. Si c’est le cas, je m’excuse auprès de toutes les parties concernées, car nous n’avons pas agi par méchanceté, mais en toute bonne foi. Nos seules autres options étaient de ne pas aller du tout à Mt Yasur, ou de laisser l’un d’entre nous derrière, ce que j’avais envisagé. Mais les organisateurs du voyage n’auraient pas été mieux lotis de toute façon.
Lorsque nous arrivons enfin au volcan, il fait sombre, il y a du vent, il y a de la poussière et il n’y a rien, de gros nuages gris de cendres se forment régulièrement au-dessus du sommet, et on peut voir sur la crête une guirlande de loupiotes blanches, celles des visiteurs précédents qui redescendent. L’ascension est facile, mais il y a tellement de vent que nous devons la plupart du temps fermer les yeux ou tourner la tête sur le côté pour éviter la tempête de sable. Ce n’est qu’une fois arrivés au point de vue que nous vivons une expérience sensorielle complète, avec le grondement, les nuages de cendres abrasives soufflées par le volcan qui nous obligent à tourner le dos au cratère, et les explosions d’ambres rouges projetées vers le haut dans des feux d’artifice au rythme aléatoire. Azur a peur et supplie de descendre, répétant qu’il est trop jeune pour mourir. Seul notre guide ne semble pas impressionné, désireux d’attendre toujours un peu plus pour avoir un grand bouquet final qui ne viendra jamais, avant de redescendre.

Le retour au village est un autre moment fort de ce circuit car, lorsque notre guide débarque à l’entrée du parc, nous l’échangeons contre dix ni-Vanuatu de tous âges qui grimpent à l’arrière de la jeep. Ils ont regardé le rallye dans l’après-midi et ont besoin d’être ramenés chez eux, ce qui a été arrangé avec le chauffeur à moins que ce soit la coutume d’embarquer les villageois qui ont besoin d’un lift. Nous discutons un peu avec une dame francophone et finissons par chanter des chansons en maori, en anglais, en français (elle commence un tour avec des paroles différentes mais sur un air que je connais, alors je me joins à elle) et en fidjien (elle se joint à Isa Lei que lui ont enseigné des visiteurs fidjiens qu’elle a reçus avant les covides). De retour au bateau, nous grignotons une salade de poisson cru préparée plus tôt dans l’après-midi et des crackers pour le petit-déjeuner, épuisés mais satisfaits d’une journée et d’un argent bien dépensés.