Amalfi
Dire que la floppée de promène-touristes à moteur sème la zizanie sur la côte amalfitaine est un doux euphémisme, et j’aurais peut-être dû accorder plus de crédit aux commentaires de Navily nous déconseillant de jeter l’ancre à cet endroit, affirmant qu’il était pratiquement impossible d’y débarquer en toute sécurité. Enfin, sans payer des sommes exorbitantes pour séjourner dans son port onéreux. Mais nous étions là, avec des invités à bord, au milieu d’une canicule qui faisait fondre nos cerveaux et réduisait notre capacité à prendre de bonnes décisions. Nous avons donc jeté l’ancre, ignorant les avertissements susmentionnés et la mer dans un état que nous n’avions jamais rencontré auparavant et qui ne devrait clairement pas se produire lorsqu’il y a pétole.







En quelques minutes, après un pop sonore, notre annexe s’est dégonflée avec deux enfants à bord, éventrée après s’être violemment empalée sur le régulateur d’allure, ruinant ainsi nos espoirs d’atteindre le rivage au sec. Même les kayakistes devaient attendre le bon moment pour débarquer sur la plage ridiculement petite et privée (comme nous l’avons appris plus tard) où les vagues s’écrasaient comme si une tempête faisait rage à l’extérieur, ou sous l’assaut des touristes qui faisait rouler Obélix frénétiquement d’un côté à l’autre, et nous avec.
L’heure du déjeuner approchant, les parents, aussi à cran (moi surtout) que leurs adolescents affamés, se demandaient quoi faire et se sont finalement accordés sur l’urgence d’échapper à ce chaos en nageant jusqu’au rivage, investissant Thomas du rôle de kayakiste Uber Eats qui, équipé de deux sacs à dos imperméables, un à l’arrière, un à l’avant comme une maman kangourou, nous apporterait le pique-nique (j’avais préparé une grande salade, du melon et du prosciutto, notre déjeuner italien classique), des vêtements et des chaussures, puis retournerait en kayak jusqu’au bateau et reviendrait à la nage.
Lorsque les premiers membres du groupe ont posé le pied sur la plage, ils ont été accueillis par une femme visiblement agacée qui la supervisait pour ses clients, et tolérait peu que nous traversions sa propriété pour rejoindre la ville. Néanmoins, nous avons fait fi de ses remontrances et avons poursuivi, nous faufilant entre les clôtures pour atteindre “l’autre côté”, où nous nous sommes fondus dans la marée humaine. Des Instagrammeurs de toutes nationalités prenaient des selfies en brandissant fièrement leur granité au citron hors de prix servie dans la pelure de citron entière. Assez étonnamment cependant, la foule dense disparaissait dès que l’on s’écartait des rues principales et que l’on s’aventurait plus à l’intérieur des terres en direction de la via dei Mulini. En chemin, les enfants se sont arrêté pour faire de l’exercice sur le parcours de santé, tandis que les parents coquins ont rempli leurs poches de prunes et de citrons mûrs qui pendaient d’un verger luxuriant, jusqu’à ce que l’on arrive à une impasse où nous nous sommes baignés dans un ruisseau glacé qui coulait sous un pont près des anciens moulins.
Avec Marcia, Camille et leurs deux enfants Arthur et Theo, nos voisins de Saint Heliers, en Nouvelle-Zélande, et amis avant d’être voisins, qui effectuaient un tour du monde post-COVID pour retrouver leur famille au Brésil et en France, nous nous étions fixé rendez-vous à Salerne pour une croisière le long de la côte amalfitaine. Basés sur les recommandations d’amis qui n’avaient manifestement jamais visité la région en haute saison, nous leur avions par inadvertance survendu cette escapade glamour. Ajoutez à cela la chaleur accablante qui s’abattait sur la région et vous obtenez un cocktail de circonstances malencontreuses compromettant une croisière agréable à bord d’Obélix. Pourtant, j’ose dire que nous avons tiré le meilleur parti de la situation et que nous étions heureux de partager avec eux une partie de notre mode de vie nomade, et, en outre, j’ai ouï dire, d’instiller à leur progéniture des rêves de grand large.
Salerno
A Salerne, que nos invités avaient rejoint en train après avoir atterri à Naples, nous avons pris notre premier dîner ensemble à Il Brigante, une hostaria (auberge) familiale planquee dans une ruelle derrière le Duomo, qu’une Britannique rencontrée deux fois en l’espace de deux jours nous avait conseillée pour son atmosphère et la qualité de sa cuisine familiale, sans omettre de mentionner toutefois son caractère atypique avec la mauvaise humeur du propriétaire, le menu manuscrit qui change tous les jours au gré des caprices de sa femme, la cuisinière, les longues tables et bancs communs et les portions parcimonieuses. Une véritable expérience ! Nous n’avons pas eu à souffrir de la mauvaise humeur de qui que ce soit, mais d’un menu difficile à déchiffrer, des effluves de tabac des serveurs fumant dehors, et d’une atmosphère étouffante qui nous a fait apprécier d’autant plus de ressortir au grand air, que la nuit avait rafraîchi. Nous avons arpenté les rues pavées, précédés par nos quatre garçons dans le vent qui ouvraient la marche, nous menant droit au petit glacier vendant la traditionnelle crème glacée dans la brioche que nous avons dégustée en guise de dessert avant de nous replier vers le bateau, en deux voyages en annexes.






Les nuits ont été problématiques, non pas à cause du manque d’espace, mais parce que la chaleur dégagée par huit personnes confinées dans le petit volume de notre monocoque de 12 mètres dépassait le supportable, et certains ont dû se disperser et prendre leurs aises soit dans le cockpit, soit même sur le pont. A Amalfi, les choses ont empiré, car même si on nous avait dit que la frénésie s’arrêtait à la tombée de la nuit, le dernier charter partant à 20 heures, le clapot résiduel a continué toute la nuit, secouant le bateau et nous réveillant en sursaut dès que nous avions réussi à nous assoupir. Et quand ce n’était pas les mouvements du bateau, c’était les feux d’artifice intempestifs qui nous tiraient de notre sommeil, sévissant tous les soirs, dans chacune des villes visitées. Un accueil digne de ce nom pour les Gheerbrant ceci dit.
Li Galli islets
L’arrêt que j’attendais avec impatience aux îlots Li Galli, que j’imaginais un mouillage isolé près de falaises offrant un cadre de plongée exceptionnel et que je concevais comme le point culminant de notre voyage, s’est soldé par un échec cuisant, car les bateaux à moteur et les semi-rigides avaient pris possession de l’endroit et il était dangereux de tenter s’y ancrer, et sans doute davantage d’y nager. A la place, nous avons profité du paysage depuis la mer en naviguant toute la journée d’Amalfi à Sorrente, saluant Capri au loin, sous un vent régulier se renforçant en fin d’après-midi et poussant Obélix à une vitesse décente, offrant ainsi des sensations délicieuses qui nous ont fait renouer avec le plaisir de naviguer, comme en témoigneront certainement les capitaines Arthur et Camille qui ont pris la barre à plusieurs reprises.













Pompeii
Sorrente était notre dernière étape stratégique pour visiter Pompéi, à une heure de train, et CELA a été sans aucun doute le climax de cette croisière de quelques jours. Je n’ai jamais entendu personne dire du mal de Pompéi et je ne vais pas commencer. Les êtres humains adorent les histoires et Pompéi en regorge. On ne peut s’empêcher d’être transporté dans une autre époque, dans un autre mode de vie qui semble si proches des nôtres, que l’on en vient à se demander quel aurait été notre destin si l’on avait vécu là à cette époque. Bâtiments, sculptures, peintures, objets, sont chargés d’émotion en tant que derniers témoins de la tragédie, et si nous pensions initialement n’y rester que quelques heures, et bien, malgré la chaleur, le manque d’ombre, la dureté ou l’étrangeté (en pensant aux plâtres et aux représentations de Priape, le dieu bien pourvu, que l’on voit par exemple à l’entrée de la Domus Vettiorum, alias la Maison de Vetti), de ce à quoi nous avons été confrontés, nous y sommes restés toute la journée et aurions pu y revenir le lendemain si d’autres engagements ou la météo ne nous avaient chassés une fois de plus, loin de la baie de Naples qui s’est transformée, en une matinée, en une piscine à vagues hostile dont nous avons dû nous échapper, laissant à Marcia, Camille, Arthur et Théo une demi-journée pour se débrouiller seuls. Ceux qui pensent que la voile est synonyme de liberté n’ont jamais été confrontés aux caprices météorologiques…




















