La plage interdite

“Toooooot ! Un coup de sifflet strident me parvient aux oreilles. Je l’ai déjà entendu, sur le bateau, mais personne n’a pu comprendre ce qu’il était censé signaler. Je poursuis mon affaire, et de nouveau un sifflement fort aigu vient troubler la paix de ma sortie sur l’eau. Je fronce les sourcils et essaie de voir de mon point d’observation, le kayak, quelle est le probleme, qui sur la plage émet ce sifflement et pour quelle raison, je n’y arrive pas, trop loin, tout ce que je peux voir ce sont les silhouettes de centaines de personnes debout sur la plage ressemblant à de minuscules fourmis mouchetant le sable blanc vierge. Peut-être qu’un bateau est prêt à partir et qu’il appelle sa cargaison de touristes, me dis-je, et je me remets à pagayer. Puis chaque coup de pagaie semble déclencher un sifflement intense et, en m’approchant, je vois quelqu’un qui s’avance en agitant les bras et en sifflant, jusqu’à ce que je me rende compte que c’est moi qui dois être à l’origine du raffut. Et en effet, en me rapprochant, je peux enfin entendre distinctement “GO AWAY ! WHAT THE F* ARE YOU DOING (du kayak, n’est-ce pas évident), GO AWAY !!!” Mmmh, je suppose que j’ai prouvé que l’adage selon lequel les Thaïlandais ne perdent jamais leur sang-froid était surfait…

Revenons un peu en arrière.

Nous arrivons à Maya Bay vers l’heure du déjeuner et prenons un mouillage qui semble bien en évidence, heureux d’être arrivés assez tôt pour obtenir une place dans cet endroit de choix. Les longtails défilent les uns après les autres, transportant des touristes qui veulent s’Instagramer sur “la meilleure plage de Thaïlande”. Peu importe qu’ils troublent l’eau et que la bande-son produite soit criarde, il n’y a rien de mieux que d’accéder à des endroits gratuitement* quand d’autres doivent payer pour cela, nous nous auto-congratulons. Ah, la vie de marin !

Il nous faut un certain temps pour réaliser que la plage semble se remplir de plus en plus de monde, alors que nous ne voyons jamais aucun bateau y débarquer, et en arriver à la conclusion qu’il y a un autre accès au coin de la rue où il doit être plus facile pour les bateaux commerciaux de s’amarrer. Dans le même ordre d’idée, curieusement personne ne fait de SUPing ou de kayak dans la baie, je me demande pourquoi, trop chaud peut-être ? Dommage vu la qualité de l’eau et le magnifique décor. Quoi qu’il en soit, je décide d’y aller. Pendant que les autres profitent de la sieste, je détache le kayak du pont et je me mets en route pour pagayer jusqu’à la plage et vérifier s’il y a un mérite à faire du snorkeling à cet endroit pour le rapporter à la base.

Bien, revenons au présent.

A titre anecdotique, je remarque que malgré les centaines de touristes rassemblés sur la plage, personne ne semble se baigner, malgré la chaleur, prendre des photos oui, me regarder avec incrédulité oui, se baigner, non. J’ai lu quelque part qu’ils avaient interdit temporairement l’accès à cette plage pour permettre au corail de se développer après avoir été gâché par le tourisme de masse attiré par “The Beach” où a été tourné le célèbre film avec Leonardo Di Caprio. En fait, l’interdiction ne concerne pas la plage, située sur une île isolée et accessible uniquement par bateau (comme je le pensais et supposais qu’elle n’était pas appliquée actuellement étant donné le nombre de personnes présentes), mais elle ne s’applique qu’à la baignade, et s’étend évidemment au kayak. Cela expliquerait la réaction de colère du garde. J’ai cru comprendre que c’était le genre de consignes que l’on recevait dans le cadre d’un forfait journalier lorsque l’on se rendait sur place avec un guide privé, mais pas lorsque l’on naviguait sur son propre bateau…

Mais pourquoi ammener les gens ici alors? N’est-il pas cruellement tentant de voir cette belle eau turquoise et de subir la chaleur du soleil à son zénith en étant privé de baignade? Les gens paient-ils vraiment pour venir “regarder” une plage ? Bien sûr, je ne peux pas nier que c’est probablement la plus belle plage que j’aie jamais vue, mais cela en vaut-t-il le déplacement ? Dans quel monde étrange nous vivons…

Lorsque je me retourne enfin avec mon kayak coupable, sentant des centaines de paires d’yeux me poignarder dans le dos, je fais un détour et rends visite à un bateau battant pavillon français pour me présenter et faire en sorte que ma sortie en vaille la peine après tout, ainsi que pour égarer ceux qui se présenteraient plus tard pour me faire la morale ou me réclamer une amende pour avoir enfreint la loi. C’est aussi l’occasion d’expliquer à ma nouvelle et très loquace amie (également amie avec Atreju, le bateau danois rencontré à Fidji et avec qui nous avons partagé le gâteau d’anniversaire d’Azur) la situation, au cas où elle ne serait pas au courant non plus, et de lui éviter le même traitement et le même embarras.

Inutile de dire que nous ne nous attardons pas à Maya Bay, où la nuit s’avère hasardeuse avec la houle du sud et les bateaux de touristes bruyants qui vont et viennent longtemps après le coucher du soleil et reprennent leur cirque bien trop tôt le matin à mon gout, sans parler de l’agitation d’un grand groupe en croisière de nuit qui a décidé de faire une expédition en kayak tard dans la nuit.

Les photos ont été prises du haut du mât par Zephyr, car nous avons nous aussi été fascinés par cette merveille exquise qu’est l’île. Cependant, ce n’est en aucun cas un point fort de notre croisière et cela nous a laissé des sentiments mitigés, dont un, bizarre puisque nous n’avons pas eu à payer un centime pour y arriver, d’avoir été arnaqués !

* Bien que la plaisanterie soit bien connue des navigateurs autour du monde que la voile est le moyen le plus coûteux de voyager gratuitement, entre les droits d’entrée dans les pays et l’entretien du bateau, sans parler de l’achat de ce dernier !