” Excusez-moi Mademoiselle, avez-vous vos règles ? – Cela ne vous regarde pas, ai-je envie de rétorquer, mais au lieu de cela, je secoue la tête avec un demi-sourire poli”. Ma patience pour les folies religieuses s’amenuise après presque un mois d’appels à la prière à longueur de journée qui perturbent mon précieux sommeil au milieu de la nuit. L’atmosphère familiale s’en ressent, mais jusqu’à présent, j’ai réussi à garder un comportement social acceptable. D’ailleurs, c’est une autre des règles que je dois accepter avant d’entrer dans le temple, garder des pensées positives.

Après avoir payé en bas les billets de la navette et payé nos billets d’entrée au guichet, comme tout le monde avant nous, nous recevons chacun un sarong ajusté autour de la taille, dont nous pouvons choisir le motif et la couleur, et faisons le reste de la montée à pied depuis le parking des navettes pour arriver à l’entrée du Pura Lempuyang Luhur (aka Temple dans le ciel, aka Les Marches du Paradis, aka Les Portes du Paradis) per se, à 768m d’altitude, passons un autre stand où l’on nous arrose d’eau bénite et où l’on nous demande nos tickets pour y tamponner ou agrafer quelque chose. Sans trop y prêter attention, je les remets dans mon sac, impatiente de voir enfin pour de vrai les fameuses Portes du Paradis encadrant le majestueux Gunung Agung (Mont Agung, plus haut sommet de Bali).

Elles sont là, à l’une des extrémités d’une grande place, orientées vers le nord-ouest, et étonnamment, nous ne voyons pas tant de gens que ca faire la queue autour d’elles pour prendre une photo, comme on me l’avait prédit et à quoi je m’attendais. Au bout de quelques minutes cependant, nous nous apercevons que ce qui ressemble d’abord à une place à moitié vide est en fait un exercice de tourisme civilisé, orchestré par un trio d’hommes qui monopolisent le centre de la place, le meilleur angle pour prendre des photos. L’un d’eux, assis sur un petit tabouret sous un parasol à côté d’une boîte à dons débordant de billets, prend des photos pour vous, et les deux autres, debout ou accroupis, appellent les numéros, vérifient les billets et transmettent téléphones et appareils photo au photographe.

Ainsi, le lieu de culte s’est transformé en une grande comédie Instagram avec une foule de touristes, qui ne déambulent pas dans le lieu pour admirer ses singularités architecturales, mais sont tous rassemblés sur les bords de sa place principale, s’abritant du soleil à l’ombre des huttes à parois ouvertes érigées de part et d’autre, à moitié endormis, attendant que leur numéro soit appelé pour pouvoir eux aussi être photographiés en train de prier, de contempler méditativement le sommet ou de sauter devant le Mt Agung entre les Portes du Ciel. Sans parler de la supercherie du photographe en chef, qui tient un miroir à l’horizontale sous l’objectif de son appareil photo pour produire un faux effet de reflet d’eau, faisant croire au monde extérieur qu’il y a un bassin d’eau romantique dans le temple !

Je savais que la frénésie d’Instagram avait perverti l’industrie du tourisme, incitant les tour-opérateurs à organiser des “excursions spéciales Instagram”, mais pas a ce point la. Quoi qu’il en soit, je vérifie notre numéro (tamponné sur le morceau de papier agrafé à nos billets), 192, ils sont actuellement en train d’appeler le 170, donc nous pourrions probablement attendre et participer à la mascarade. Ah non, nous avons mal entendu, c’était 117, on oublie, j’attends le changement de figurants pour prendre une photo des portes sans personne dans le cadre, bien qu’un peu de biais, et un jour peut-être, je photoshoperais notre famille à l’intérieur des portes…





C’est dommage que cette expérience ternisse la visite d’un temple du 11e siècle par ailleurs impressionnant, situé sur un emplacement de choix, avec des vues magnifiques sur les vallées environnantes de rizières d’un vert éclatant, et une multitude de sculptures et d’ornements en pierre, dont trois escaliers et portes massifs, longs et abrupts menant à la zone de prière, bordés de dragons à longue queue, avec des colliers, des boucles d’oreilles et des couronnes de bijoux complexes.

C’est super confortable le sarong à Bali ! J’en avais acheté un et j’étais je crois le seul du groupe à le garder et le porter le reste du voyage. Je l’ai toujours mais ne suis pas sûr de savoir encore le nouer selon les règles (strictes je crois et pleines de symbolisme) !
LikeLike