Moyennant un aller-retour en train Marseille-Montpellier en moins de 24 heures, le bateau étant alors toujours à Marseille à quelques jours de la rentrée, je me suis rendue jeudi dernier, à l’école primaire que va fréquenter Azur, à Carnon, pour y rencontrer la directrice et finaliser son dossier d’inscription. A mon retour, lorsque j’ai eu fini le debriefing avec lui, mon fils m’a rassurée d’un très sobre « T’inquiète pas, je vais m’adapter ».
Mais ai-je vraiment envie qu’il s’adapte à un système truffé de règles absurdes qui fonde sa discipline sur la suprématie des grandes personnes, plus que sur le respect mutuel, et qui insulte la souveraineté des enfants à disposer de leur propre corps, jouir de leur mobilité pourtant si précieuse, et satisfaire leurs besoins primaires sans demander l’aval d’un adulte ?
Qu’on ne s’y trompe pas, la directrice, est une femme serviable et bienveillante, qui, nouvelle dans l’école, a pris grand soin de m’en expliquer le fonctionnement et les effectifs (huit classes dont cinq double-niveaux de primaire de 20 à 23 élèves récemment fusionnée avec une section de trois classes de maternelle et une UEMA) ainsi que de me la faire visiter en m’exposant ses projets d’amélioration pour, par exemple, mieux profiter des espaces en extérieur, et en célébrant la topographie de la cour de récréation qui encercle l’école et est, outre sa partie bétonnée à souhait, bordée d’arbres matures, auxquels il est hélas, selon elle, défendu de grimper, comme il l’est de se promener à pieds nus dans l’enceinte de l’école. Elle est restée interdite devant mes questions farfelues, saisissant l’ampleur du choc culturel auquel allait se heurter mon fils et m’a rapporté l’expérience similaire de sa fille qui était rentrée de son année de césure aux Etats-Unis ébahie de la liberté octroyée aux lycéens américains et de leur nonchalance en cours (certains arrivant en pantoufles ou s’enroulant d’un plaid en hiver) qui aurait passé pour de l’insolence manifeste dans n’importe quel établissement français.
Elle m’a également confirmé, lorsque je le lui ai demandé, que le vouvoiement des professeurs commençait généralement vers le CE2, mais qu’Azur pouvait demander à sa maitresse comment l’adresser. Et, autre point confirmé, qu’il fallait lever la main pour demander l’autorisation avant d’aller aux toilettes. Ma bête noire. L’autorisation d’aller aux toilettes. Et l’objet de mon ressentiment éternel face au système français psychorigide. Jamais dans une réunion d’adulte on ne s’imaginerait avoir à demander l’autorisation pour aller se soulager, on se contente de s’éclipser discrètement d’un petit « je reviens », et rien n’indique que les enfants ne sont pas capables de la même élégance. J’aurais tant aimé, en tout cas, étant plus jeune, bénéficier de la même latitude et m’éviter ainsi une paire d’incidents pénibles qui m’ont remplie de honte pratiquement jusqu’à ce jour.
Le premier en classe de CE2, je me tortillais sur ma chaise dans le fond de la classe, attendant le moment opportun pour déclarer mon envie pressante quand finalement, n’y tenant plus, je levai le doigt juste au moment où l’institutrice (Mme Dagama), avait posé une question et m’a reçue d’un « Ah, Salomé a peut-être quelque chose d’intéressant à dire ? » et que ma réplique « Est-ce que je pourrais aller aux toilettes ? » a fait rire tous mes camarades.
Le second, de loin le plus humiliant, s’est déroulé au collège. Mon envie pressante s’est déclarée peu avant la fin des cours, et entre la peur d’interrompre une professeur de maths (Mme Coutoux), certes très appréciée, mais suffisamment stricte pour imposer que l’on se tienne à carreaux, et la certitude de pouvoir tenir jusqu’à la fin du cours, je me suis retrouvée a finalement pisser sur ma chaise, au premier rang, à deux minutes de la fin, priant pour que les élèves soient suffisamment absorbés par le cours pour ne rien remarquer, mais sachant pertinemment, lorsque la sonnerie finit par retentir et que l’on évacua la salle pour laisser entrer les suivants, que je laissais derrière moi, sans oser la regarder, une chaise mouillée, où l’urine ruisselait sans doute encore pour former une petite flaque sur le sol, et qu’il fallait trouver une solution pour dissimuler mon pantalon souillé, et c’est là que, vive les meilleures amies, la mienne, Camille, m’a prêté un gilet que j’ai noué autour de ma taille, le gardant ainsi pendant le reste de l’après-midi.
La honte qui m’a collé à la peau pendant des années suite à cet épisode s’est muée en colère contre le système éducationnel français qui, loin de favoriser la responsabilisation des enfants, en méprise l’autonomie. Il en aurait fallu plus pour briser mon élan de vie, mais je ne souhaite en aucun cas que mes enfants subissent ces mêmes humiliations débilitantes ni d’être réduits à des petits soldats que l’on ordonne en rang pour leur faire avaler un savoir académique en dépit de leurs aptitudes et enthousiasmes propres et s’évertue à leur faire ingurgiter les règles de grammaire ou de conjugaison en les sommant de rester bien en place assis par deux derrière un bureau, sans se soucier de leur transmettre des savoirs ancestraux basiques et fondamentaux comme apprendre à reconnaitre les plantes comestibles dans la nature ou identifier le temps qu’il va faire à la forme des nuages dans le ciel.
Et malgré toute la gentillesse de la directrice, mes observations et les réponses à mes questions farfelues (qui ne le seraient pas en contexte néo-zélandais, puisque les arbres portaient des petites croix rouges lorsqu’il était interdit d’y grimper ou des smileys lorsque c’était autorisé, que la cour de récré disposait d’un jardin où se cultivaient légumes et plantes aromatiques, que les enfants y évoluaient en tongs ou pieds nus à leur guise, n’avaient qu’à signaler d’un petit geste de la main qu’ils s’absentaient pour aller aux toilettes, et qu’aucune des écoles fréquentées n’avaient de grilles, encore moins fermées à double-tour en présence des élèves et des professeurs,) n’ont rien eu de rassurant sur l’évolution du système français ces vingt dernières années.
Alors oui j’ai peur, même si mes enfants sont ultra adaptables, qu’ils aient à endurer un environnement qui ne soit pas favorable à leur épanouissement ou la réalisation de leur plein potentiel, et, utopique que je suis, je rêve que l’on restructure le ministère de l’Education Nationale en ministère de l’Epanouissement National, dont l’éducation serait l’un des outils, et non des moindres, mais qui ne perdrait pas de vue la fin derrière ce qui devrait, selon moi, n’en être que l’un des moyens.
A J-1 on se distrait du stress comme on peut. Je finis de compléter le dossier d’inscription de Zéphyr qui passe des tests pour valider son entrée en quatrième demain après-midi. Azur fait la manche, avec un écriteau invitant les passants à récompenser son spectacle spontané de voltige dans le mât de quelques pièces, se morfond devant l’échec cuisant de son entreprise, et se demande de quelle autre façon gagner rapidement un peu d’argent de poche. Zéphyr en profite pour lui piquer la place dans la mature et se balancer à son tour. Il faut dire qu’ils ont déjà fini les douze BD chacun empruntées hier à la médiathèque, que les cartables sont faits et qu’il n’y a plus qu’à diner, dormir et se lancer…
