Conditions corsées

Porto-Vecchio, adrénaline et allergie

Baie de Porto Vecchio. Dimanche 6 août. Seule à bord avec mes deux enfants, le coup de vent annoncé ces derniers jours (vigilance jaune vent / vagues submersion) se transforme en fort coup de vent, frôlant la tempête avec des rafales à 50 nœuds. Certes pas aussi alarmant que l’orage violent qui a ravagé la Corse l’an passé (faisant 5 morts et 20 blessés), mais je vous laisse juger de la teneur anxiogène des évènements qui se sont déroulés entre 18 et 22 heures.

18h00. Nous rentrons au bateau en annexe, j’ai Thomas au téléphone, pour lui conter mon échec cuisant d’organiser un sortie canyoning pour le lendemain, ainsi que les prix exorbitants pratiqués sur l’ile de Beauté en période estivale (bus pour la plage 11 Eur a/r, location de voiture 120 Eur/jour).

18h15. Alors que nous grimpons à bord d’Obelix, des sauveteurs en mer qui patrouillent la zone en RIB s’enquièrent (en criant, du fait du vent) si tout va bien. Lorsque je leur réponds par l’affirmative, ils me demandent si je peux me réancrer plus loin (!) car Taimiti, le voilier mouillé au vent sur notre bâbord, n’a plus de propulsion (l’hélice repliable refuse de se déployer entièrement en marche avant) et a déjà chassé une fois. Il est à moins de vingt mètres d’Obelix et pourrait manquer de déraper dessus. Je leur explique que mon mari (beaucoup plus facile à dire en situation de stress que compagnon, concubin, conjoint ou partenaire) est absent et que je ne compte pas, par ce temps, me réancrer seule avec les enfants.

18h30. Deuxième visite des sauveteurs en mer, qui réitèrent leur inquiétude face au risque de Taimiti à déraper sur nous, et me demandent quand rentre mon mari. Je leur répète qu’il ne revient que le lendemain soir, et qu’étant bien ancrée depuis plusieurs jours, je préfère rester où je suis et ne mettre les gaz que s’il y a un problème avéré. Je leur hurle mon numéro de téléphone pour qu’ils le transmettent au skipper de Taimiti afin que l’on puisse communiquer à ce sujet. Ils me quittent en me disant que si j’ai le moindre souci il ne faut pas hésiter à quitter mon bateau et embarquer dans l’annexe, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer.

18h35. Appel de Michel de Taimiti, pour se mettre d’accord sur la marche à suivre si son bateau dérape, et convenir d’installer des pare-battes préventifs, lui à tribord, moi à bâbord. De l’autre côté, nous sommes à 40 mètres de Kallisto Rose qui pourrait devenir notre cible si nous chassions, mais nous semblons nous maintenir sur notre ancre, notre arc de cercle ne bronche pas.

18h42. Appel du centre de secours croyant que je suis en train de dériver. Un coup d’œil au chart plotter pour confirmer qu’Obélix est bien stationnaire, et je leur signale qu’ils doivent se tromper de bateau.

18h59. Appel avec Thomas pour lui exposer la situation et lui demander conseil quant à remettre de la chaine ou non, le principal souci étant que nous valsons à moins de dix mètres de la bouée du chenal et qu’on risquerait de la cogner avec plus de longueur de chaine. Nous convenons de maintenir le statu quo.

19h24. J’évacue une partie de mon stress en décrivant la situation dans un post fb, qui me vaut le soutien virtuel de nombreux proches.

19h31. Appel avec Thomas car l’annexe s’est retournée avec le hors-bord fixé dessus, qui s’est donc retrouvé la tête sous l’eau. J’avais bien eu l’intuition que j’aurais dû le remonter, mais la dernière remarque des sauveteurs en mer et le fait qu’aucun autre bateau ne semble s’inquiéter de leur hors-bord toujours sur leur annexe qu’ils ont laissée flotter derrière eux, m’avaient fait douter de moi. Dommage, je suis pourtant tellement partisane de la revalorisation de l’intuition en dépit de mon boulot dans la data !

19h33. Appel de Patrick, nouveau copain de salsa rencontré quelques jours auparavant au Eden Mare puis au U Stampu Di Corsica. Navigateur, il nous a salué un peu plus tôt dans la soirée, depuis son bateau à moteur qu’il ramenait dare-dare au port avec sa compagne Cathie. Il tient à s’assurer que tout va bien pour nous et nous enjoint à le contacter s’il y a quoi que ce soit. Lui s’est amarré à la station essence, en attendant que ça se calme pour manœuvrer au port en toute sécurité.

19h37. Appel avec Thomas pour confirmer que je suis parvenue à retourner l’annexe et récupérer le moteur, et peut maintenant m’attaquer à le ressusciter. Il me demande de commencer par le rincer abondamment avec de l’eau douce, et, avec les enfants, nous nous exécutons en mode sauvetage de baleine, en le plaçant au-dessus d’un gros seau, dans lequel il ne rentre pas tout à fait, et armés d’une bassine que l’on remplit et verse au-dessus à tour de rôle.

19h44. Thomas nous rappelle pour nous indiquer la suite de la marche à suivre et de quels outils et accessoires nous munir, à savoir tournevis, clé plate et CRC/WD40.

19h52. Appel avec Thomas car l’annexe vient de se retourner de nouveau avec les rames toujours dessus, je propose de la laisser telle quelle, car au moins elle ne bougera plus, mais Thomas soulève le problème des rames et dames de nage qui pourraient se détacher et me suggère de me mettre en maillot de bain pour les récupérer alors que l’annexe est toujours retournée, conseil qu’il tient du bouquin de Moitessier. Ayant trop peur de quitter le navire avec les loulous à bord et les autres bateaux autour qui pourraient nous nuire, je me hâte de retourner l’annexe depuis la plate-forme pour en reprendre les rames, malheureusement, dans la manœuvre, l’une d’elle se fait la malle avec sa dame de nage et s’éloigne en flottant.

20h03. Appel de Patrick, écourté pour cause de sauvetage de rame. Un couple dans un bateau à moteur passe au moment où je j’hésite à me mettre à l’eau (maintenant en maillot de bain) pour récupérer la rame vagabonde. Nous faisons de grands signes en pointant vers la rame qui flotte à quelques mètres d’eux mais ils ne ralentissent pas et continuent vers le port en nous ignorant.

20h05. Appel avec Thomas pour une mise à jour de la situation. Avec le temps perdu, la rame a flotté un peu loin et pour le coup je juge déraisonnable d’envisager aller la chercher à la nage. D’autre part, en retournant dans le cockpit après le deuxième retournement d’annexe, je constate que Kallisto Rose a disaparu, je jette un coup d’œil autour et me rend compte qu’ils ont reculés de 300 mètres, et sont maintenant ancrés en plein dans le chenal de navigation (ce ne sont pas les seuls). Au moins, c’est un souci de moins pour nous car si d’aventure nous chassons à notre tour, nous avons tout le temps du monde pour réagir.

20h14. Appel avec Patrick pour m’excuser de la brièveté de notre échange précèdent, et lui narrer le fiasco du sauvetage de rame. Il me coupe pour m’expliquer que le couple dudit bateau à moteur rentrait, tous deux complètement dépassés par les évènements, la femme en pleurs, après avoir chassé sur leur ancre.

20h23. Thomas m’envoie la vidéo explicative de que faire pour sauver un moteur noyé.

20h43. Appel de Patrick pour vérifier une fois de plus que tout va bien à bord. Il m’informe que deux bateaux se sont échoués sur la côte d’en face, et je lui confie que de notre côté nous avons entendu deux May Day à la radio.

20h44. Long appel avec Thomas pour détailler la procédure de sauvetage du hors-bord qui consiste d’abord à dévisser le boitier en plastique, à démonter la bougie verticalement puis à incliner le moteur pour voir si de l’eau coule. Le test n’est pas probant, ma main se retrouve humide mais je suis incapable de savoir si l’eau vient de l’intérieur du moteur ou d’autre pièces externes qui étaient encore mouillées. Ca a le mérite de nous occuper les mains et l’esprit.

21h08. Nouvel appel avec Thomas pour faire le point et asperger de CRC, en direct, le cylindre, avant de tout refermer pour la nuit.

21h30. Nous dinons enfin, de restes de la veille réchauffés courageusement par Zéphyr qui fait affectueusement remarquer qu’Obélix est comme un chalet à la montagne, malgré les éléments qui se déchainent à l’extérieur, nous y sommes bien au chaud et à l’abri.

21h43. Appel de Patrick pour confirmer que tout va bien, et noter que le vent s’est calmé (25 nœuds) et que l’on va pouvoir dormir sur nos deux oreilles.

22h42. Appel avec Thomas pour se souhaiter « bonne » nuit.

Avec tout ça, je me demande si je ne suis pas en train de développer une allergie au vent. Son souffle, ses gémissements, la façon dont il retourne la mer, tout m’irrite en lui. Mithridatisation ratée au cours de ces seize derniers mois où j’y ai été exposée à dose trop importante, et dont l’effet cumulatif, au lieu de m’insensibiliser, a provoqué l’intoxication. Trop de stress à répétition, avec trop peu de répit entre chaque épisode éprouvant, qui loin de développer ma résilience psychologique, semble l’avoir émoussée.

Heureusement nous avons déjà emmagasiné de chouettes souvenirs sur l’ile de beauté, notamment avec une longue balade à la Punta di a Vacca Morta, et le lendemain, Azur prend les choses en main en nous cuisinant des pancakes qu’il amène dans la V-berth pour un petit dej au lit.

Pourvu que le reste de notre séjour se passe sans histoire, ou presque.

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