Une nuit à Stromboli

Commençons par le moment préféré de la journée d’Azur, soit la balade en pleine nature sur les flancs du volcan à la tombée de la nuit. C’est vrai que tout ce vert avait une allure tropicale et sans qualifier de forêt, cette variété de câpriers, chardons, fenouil, de champs de roseaux et graminées à foison était réjouissante après tous les paysages désertiques traversés en Grèce puis en Sicile.

Nous avons débarqué vers 19 heures, heure à laquelle la température ambiante redevient supportable en cette période de canicule, et, prévoyant une ascension d’une heure et demie vers l’observatoire à 300m d’altitude situé à l’ouest de l’ile, nous permettant d’arriver pile poil pour le coucher du soleil.

Hélas, en traversant le petit village de San Vincenzo, aux ruelles étroites dallées, bordées de part et d’autre de hauts murs ronds peints à la chaux comme dans les Cyclades, Thomas a prétexté un avitaillement en fruits pour la rando pour profiter quelques minutes de la clim de l’épicerie qui nous implorait depuis la rue, et un nouvel arrêt s’est imposé au commerce suivant, la pharmacie, pour faire le plein d’antibiotiques afin de traiter son pied enflé depuis quelques jours. Ces petits contretemps ont bouleversé notre timing d’orfèvre et notre balade s’est vite transformée en course-poursuite contre le soleil qui semblait se dissimuler toujours plus loin derrière la colline, quand soudain Zéphyr, ayant un peu d’avance sur nous, s’est exclamé avec allégresse « Je le vois ! » et, magnanime, a soulevé son frangin qui arrivait derrière lui en trottant mais était trop petit pour apercevoir le gros astre rose en train de disparaitre à l’horizon.

Jusque-là, nous étions seuls sur le chemin, avec comme seul indice que nous étions dans la bonne direction, des traces de pas dans la poussière qui semblaient relativement récentes, et de fait, nous avons fini par rejoindre la horde de visiteurs qui avaient prévu un peu plus de marge que nous pour leur grimpette et étaient déjà installés sur des bancs de fortune ou accoudés à la rambarde au dernier poste d’observation autorisé depuis un décret de 2021.

L’atmosphère était quasi religieuse, personne ne parlait, comme si le moindre murmure pouvait perturber le volcan en éructation. Moi, en revanche, je n’ai pas pu refreiner mon admiration devant les premières lueurs de lave en ébullition jaillissant du cratère en gerbes hardies, et bien que mon extase lyrique ne suscite que peu de réaction chez le petit garçon dont Zéphyr m’avait fait justement remarquer qu’il jouait à des jeux vidéo sur son téléphone en tournant le dos à la « scène » et ne détachait pas les yeux de son écran, il me semble que les éclats d’ambre avaient plus de panache avec mes appréciations sonores, qui avaient, de surcroit, l’avantage d’alerter les autres spectateurs, dont certains avaient également les yeux rivés sur leur smartphone entre deux gerbes.

Parfois quand même, le volcan prenait le relai de la bande-son et nous offrait des rugissements terrifiants, si bien qu’à un moment, je me suis demandé à partir de quand nous étions censés nous inquiéter et nous repentir de ne pas nous être joint au pèlerinage de bateaux (une trentaine) qui avaient navigué pour s’établir à l’ouest de l’ile pour la soirée, préférant assister au spectacle depuis le confort de leur cockpit.

Après une dernière éruption de plusieurs minutes digne d’un bouquet final, l’assemblée s’est dissoute et nous n’avons pas tardé à déserter à notre tour, emboitant le pas de groupes accompagnés de guides qui redescendaient de plus haut dans la colline, telle des colonies de lemmings serpentant en cadence, illuminant la nuit de leurs lampes frontales.

Plus bas, même ambiance de bibliothèque au restaurant l’Osservatorio, où nous avons pris un dessert aux chandelles (tiramisu, sorbeto al limone et biscuits aux amandes et marzipan) pour jouir un peu plus longtemps des éruptions régulières du Stromboli, unissant nos ah et nos oh non pas à ceux des serveurs qui en avaient vu d’autres et chez qui la lave en ébullition ne suscitait pas la moindre réaction, mais à ceux des clients émerveillés, qui ont même applaudi après la plus longue et formidable des éruptions.

Et c’est ainsi qu’à l’issue de cette journée nous avons partagé nos moments favoris. Un des miens était d’avoir pu observer, en même temps, grâce à mon masque de plongée maintenu juste à la surface de l’eau et m’offrant une double vision au-dessus-en-dessous, mes deux fils, l’un plongeant au fond de la mer, l’autre s’apprêtant à y sauter depuis le rocher où il avait grimpé à Cala di Junco à Panarea. Je me félicitais également d’avoir proposé une pause déjeuner à Isola di Basiluzzo avec son eau transparente, ses falaises à pic, et ses rochers plats parmi lesquels Azur n’avait pas manqué de découvrir de nouveaux toboggans aquatiques à emprunter en kayak. Au palmarès de Thomas et Zéphyr, pour qui les éruptions de Stromboli étaient numéro 1, figurait aussi le saut de Zéphyr, sans hésitation, depuis la haute falaise de Cala di Junco, qui surpassait très probablement le plongeoir de Rhodes (cf. Cousinade à Rhodes & Symi)

Force est de constater qu’entre notre matinée à Panarea, notre escale à Isola di Basiluzzo, la navigation (certes longue et lente, mais à la voile !) et cette excursion au volcan Stromboli, nous n’avons pas chômé et, une fois de plus, drôlement profité des miracles de Mère nature.

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