Notre séjour de plus de deux mois en Grèce n’est pas encore digéré que nous troquons déjà les salades grecques pour des tomates-mozza après un pit stop à Bova Marina, à l’extrême Sud de l’Italie, en route pour la Sicile.
La ville manque décidément de charme mais c’est précisément ce manque de charme qui fait son charme. Moins démago que les idylliques iles grecques avec leurs petits villages entretenus au cure-dent et designés pour plaire au touriste. Ici rien que du local, pas de plage organisée (à part une aire de quelques mètres carrés devant l’hôtel Girasol qui ne semblait pas d’un grand succès), pas de digue piétonne avec boutiques de souvenirs, mais des lauriers, des bougainvillers et du reggaeton à fond. C’est bétonné avec une rangée de maisons mitoyennes à l’architecture insipide donnant directement sur la plage et cachant la rue principale du centre. La grande plage de galets est jonchée de barques en piteux état, auxquelles les embarcations indonésiennes n’ont rien à envier, et de petits tas d’accessoires (matelas et licornes gonflables, raquettes, et autres jeux de plages) que les habitants laissent le soir au pied de leur parasol replié, prêts à les y retrouver le lendemain. Aux heures les plus chaudes de la journée, chacun se terre chez soi à l’abri du soleil, ou se hasarde sur la plage mais toujours à l’ombre (on ne tient pas plus de deux minutes au soleil, nous en avons fait la malencontreuse expérience) pour jouer aux cartes (une activité visiblement exclusivement masculine), mettre à jour son compte Instagram, ou bouquiner, avec de temps en temps un tour dans l’eau cristalline ou à la douche pour se rafraichir.
Et malgré cette atmosphère prolo, voire beauf, nous avons clairement baigné dans le bonheur le temps de notre escale d’une petite journée ici. Un sentiment d’accomplissement familial nous a enveloppé, supérieur à aucun ressenti auparavant. Une quiétude, d’être arrivés au pays non seulement des spécialités culinaires innombrables telles que lasagnes, pizzas, gelatos, limoncello et tiramisu, mais aussi celui de mes aïeux, et surtout le dernier nous séparant de la France, et sur le même fuseau horaire que celui-ci. Nous l’avons fait ! Notre souhait de revenir en France à la voile depuis la Nouvelle-Zélande est quasiment exaucé. Avant-dernière étape validée !
L’arrêt s’est décidé à la dernière minute vu le peu d’air et l’absurdité de forcer l’allure au moteur alors que l’on pouvait simplement se poser, découvrir cet endroit reculé de l’Italie, et profiter de sa gastronomie plus vite. En milieu d’après-midi, donc, nous avons débarqué en quête d’un glacier. Erreur fatale car nous ne pouvions avancer de plus de quelques pas sans se sentir dépérir sur place et chercher du regard suppliant un petit coin d’ombre. Nous avons fini par élire domicile sur un banc fait de palettes, sous un grand eucalyptus en bordure de plage. Nous y avons laissé nos affaires et piqué une tête jusqu’à ce que l’air se rafraichisse un peu vers cinq heures.
Pour rejoindre la rue principale, il nous a fallu emprunter un sous-terrain d’un mètre soixante de haut, ne posant aucune difficulté aux petites vieilles ou aux enfants mais un peu juste pour Thomas et moi. De l’autre côté, nous avons erré dans la rue voulant nous fier à notre instinct et notre flaire, avant d’appeler Google Maps à la rescousse, car nous n’avions pu identifier qu’un petit supermarché de quartier, une pharmacie et un bureau de tabac. Le premier établissement indiqué par Google était à deux pas et nous avons pénétré avec septicisme dans ce qui ressemblait de prime abord à un troquet, peu convaincus d’y trouver notre bonheur, et pourtant ! Il s’agissait d’un bar-café-pâtisserie-glacier-loto, concept assez répandu dans le coin s’y on se fie aux autres commerces de même nature qui apparaissaient sur la carte. La tenancière nous y a servi les plus grosses glaces une boule jamais observées, et a même offert à Azur un deuxième cornet pour gérer sa crème glacée au tiramisu qui tentait de se faire la malle de tous les côtés. Zéphyr a choisi caramel au beurre salé, et Thomas un parfum inconnu d’un nom que je n’ai pas retenu comme Stevetilla qui était une tuerie, un mélange de vanille, chocolat noir, gauffrette, et coulis de chocolat. Devant la générosité des portions, je me suis abstenue, me contentant de prélever la gabelle à chacun, une fois installés à une table, seuls clients dans cet établissement sinon désert.
Pour clore la journée dégustation, nous avons ensuite rejoint la pizzeria Platia Niki que j’avais repérée comme étant proche de notre ancrage, nous évitant ainsi une trop longue marche une fois repus. Ladite pizzeria ouvrait tout juste lorsque nous arrivions, avec les serveurs installant chaises et tables de jardin sous les arbres de la place pavée qui servait de terrasse. Des pépés jouaient aux cartes, des femmes et demoiselles s’étaient mises sur leur trente-et a l’occasion d’un anniversaire, comme nous l’a expliqué une quinquagénaire brune fortement maquillée en robe de soirée rouge vif qui a fait ouvrir l’épicerie du coin juste pour nous en nous voyant lorgner sur la vitrine de pates artisanales de toutes tailles et formes.
Le choix des pizzas s’étalait sur trois pages du menu et sans tout comprendre des ingrédients en italien, nous nous en sommes pas mal tirés avec une Margherita, une Calabrese avec salami picante, un Quatro Staggione avec jambon, champignons, et artichauts, et une Delicante avec crème, tomates cerise, courgettes et saumon qui sont apparues dans la minute. Nous avons eu du mal à engloutir tout ça, mais Zéphyr, en passe de détrôner son père dans le rôle de poubelle de table, a fait le ménage une fois que tout le monde calait devant son assiette respective. La promenade digestive s’est doublée, pour les enfants, d’une baignade nocturne sur arrière-plan d’Etna fumant, après des ricochets de plus en plus impressionnant par Zéphyr, qui à défaut de maitriser le vent, a bel et bien dompté les galets. En rentrant au bateau, sachant que nos estomacs nécessitaient un peu plus de répit avant de nous laisser dormir, nous nous sommes emparé des ukulélés pour chanter le très à propos Voyage En Italie de Lilicub.
Et devant la soirée qui s’éternisait, Azur de suggérer d’adopter dorénavant les coutumes méditerranéennes et devenir nocturnes nous aussi. Pourvu que ce sentiment de plénitude s’éternise lui aussi, et pas seulement à cause de pizzas qui remplissent nos estomacs.








