Ou comment Azur a soufflé ses dix bougies dans un monastère.
Hozoviotissa. Un mot si particulier, qui vous chatouille la langue, sonne comme un mantra, et semble vous échapper à moins d’être répété religieusement. Un mot qui est apparu en rêve à Dimitri, sans crier gare. Une rapide recherche sur Internet a révélé qu’il s’agissait du nom d’un monastère orthodoxe du XIe siècle, en partie creusé dans une falaise d’Amorgos et accroché à celle-ci, à une hauteur vertigineuse de 300 mètres au-dessus de la mer Égée. Versé dans la spiritualité, Dimitri y a vu le signe qu’il était temps de se rendre à ce monastère pour une visite prolongée.







Après douze années passées en France à travailler sur l’intelligence artificielle, cet Athénien expatrié, élégant jeune homme brun, propre sur lui, avec une barbe de trois jours bien taillée, vétu d’un pantalon et d’une chemise sobres, respirant la compassion et la sérénité, est revenu dans son pays d’origine pour plaider sa cause auprès du moine en chef. Ils se sont rencontrés lors d’une espece d’interview de colocation potentiels, ont eu le sentiment mutuel de se connaître depuis longtemps (même si les chrétiens orthodoxes écartent toute idée de réincarnation, comme Dimitri a pris soin de nous le préciser). Une amitié est née, Dimitri s’est installé dans le havre spirituel d’Hozoviotissa et est devenu, sinon moine (malgré l’insistance des deux moines résidents, car il trouve que, dans ce monde de plus en plus polarisé, le port du costume traditionnel orthodoxe – robe noire et kalimavkion, serait trop dogmatique), un bon guide pour les visiteurs de passage, tout comme nous. Sa parfaite maîtrise du français en faisait la personne idéale pour répondre à nos questions sur ce lieu étrange, et à peine en avions-nous posé une qu’il continuait à nous captiver avec d’intrigantes histoires de spiritualité, de miracles et d’heureux hasards, à propos de l’icône de la Grâce de Panagia (Vierge Marie) qui est arrivée sur l’île par bateau au Moyen-Âge, ou de l’ouvrier qui, un matin, a trouvé ses outils suspendus à la falaise un peu plus haut que l’endroit initialement choisi pour la construction du monastère et a decide d’y batir le monument, ou de la façon dont lui-meme avait été baptisé au mileu de la nuit dans un temple indien.
Nous partagions l’audience avec un couple de musulmans francophones de Tunisie et avons débattu du rôle de la religion dans la société, nous accordant sur la fracture absurde qui anime le monde et nous rappelant qu’une étymologie attribue au mot le sens de dispositif créant du lien (du latin religare, “relier”). Nous étions les derniers visiteurs de la journée, et lorsqu’il a appris que c’était le dixième anniversaire de notre fils Azur, Dimitri l’a invité à souffler les bougies allumées par les visiteurs précédents, tache qu’il devait effectuer quoi qu’il en soit avant de fermer la chapelle. Après avoir fait nos adieux et avant de quitter les lieux dans l’émerveillement, nous avons été accueillis au mess par un autre des résidents pour un shot d’une boisson inconnue et quelques délices grecs.
La cerise sur le gâteau après une journée bien remplie : scooter jusqu’à Hora, déjeuner dans le pittoresque restaurant familial Transis-to-raki où nous nous sommes régalés de recettes typiques, descente à pied de Hora (où nous avions laissé nos scooters) jusqu’à la plage d’Agia Anna (qui figure dans le Grand Bleu), baignade tout nus, puis bain de soleil sur les rochers chauds, enfin auto-stop jusqu’au pied du remarquable monastère, honteux de ne pas avoir répondu à la seule demande d’Azur pour son anniversaire, qui était de ne pas marcher (la balade jusqu’à Agia Anna nous ayant pris une bonne heure sous un soleil de plomb).











Ajoutez à cela l’accueil inattendu de nos premiers dauphins méditerranéens dès que nous avons passé la pointe de l’île en allant d’Astypalea vers Kaloraritissa, où pour une fois Obélix n’était pas le plus petit bateau de la baie mais éclipsait au contraire tous les bateaux de pêche nains bleus et blancs, les vues imprenables sur Katapola depuis la route de la Hora, ou depuis le site antique de Minoa, le nombre très modéré de touristes rencontrés, et la rencontre avec des marins allemands et des danseurs de tango qui ont improvisé une mini-milonga sur le quai, et vous comprendrez aisément pourquoi nous avons un faible pour Amorgos, dont le grand bleu environnant est si intense qu’il pourrait bien devenir notre bleu préféré également.


